Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/275

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pas moins assujetti aux règles de la bonne foi. Si la tolérance qu’on doit avoir et qu’on a pour les stipulations d’intérêt dans les prêts du commerce est fondée sur ce que, d’un côté, les emprunts que fait un négociant ont pour objet de se procurer des profits en versant l’argent dans son commerce, et sur ce que, de l’autre, toute entreprise supposant de grosses avances, il est important d’attirer dans le commerce la plus grande quantité possible de capitaux et d’argent, il est bien évident que ces deux motifs ont exactement la même force, que le prêteur soit ou ne soit pas négociant. Dans les deux cas, son argent n’est pas moins un moyen pour l’emprunteur de se procurer de gros profits, et cet argent n’est pas moins un capital utile versé dans le commerce. Pour savoir si la faveur des négociations du commerce doit être appliquée à un prêt d’argent ou non, c’est donc la personne de l’emprunteur qu’il faut considérer, et non celle du prêteur. Il importe donc peu que le sieur B… des E…, ou tout autre des capitalistes d’Angoulême, fasse ou ne fasse pas actuellement le commerce, et il n’en saurait résulter, pour les commerçants qui ont emprunté d’eux, aucun prétexte pour revenir contre leurs engagements en les inculpant d’usure, et encore moins pour les attaquer par la voie criminelle.

XLV. — Le taux de l’intérêt au-dessus de six pour cent n’a pas dû non plus donner ouverture à la voie criminelle.

C’est encore une autre erreur d’imaginer qu’il y ait dans le commerce un taux d’intérêt fixe au-dessus duquel les négociations deviennent usuraires et punissables. — Il n’est aucune espèce de lois qui ait fixé un taux plutôt que l’autre, et l’on peut même dire qu’à la rigueur il n’y en a aucun de permis, que celui de l’ordonnance, encore ne l’est-il qu’avec la condition de l’aliénation du capital. L’intérêt, sans aliénation du capital, n’est que toléré en faveur du commerce ; mais cette tolérance n’est ni ne peut être limitée à un taux fixe, parce que l’intérêt varie non-seulement à raison des lieux, des temps et des circonstances, en se réglant, comme le prix de toutes les autres marchandises, par le rapport de l’offre à la demande, mais encore dans le même temps et le même lieu, suivant le risque plus ou moins grand que court le capital, par le plus ou le moins de solidité de l’emprunteur. L’intérêt se règle dans le commerce par la seule stipulation ; et s’il y a, dans les places considérables de commerce, un taux courant de l’intérêt, ce taux n’a