Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/274

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XLIII. — Le sénéchal d’Angoulême n’aurait pas dû admettre l’accusation d’usure pour des prêts faits à des marchands.

Je pense qu’au fond, et même en partant des principes actuels, tels qu’ils sont modifiés par la jurisprudence de la plus grande partie des tribunaux, et surtout de ceux auxquels la connaissance du commerce est spécialement attribuée, les dénonciations des prétendus faits d’usure ne doivent point être admises, et les prêteurs ne doivent point être exposés à des procédures criminelles. Il suffit pour cela que les prêts prétendus usuraires, et qui ont donné lieu aux dénonciations, aient été faits à des marchands ; dès lors il est constant par la jurisprudence universelle de toutes les juridictions consulaires, qu’on ne peut les regarder comme prohibés par le défaut d’aliénation du capital ; il paraît même qu’on en est convaincu au sénéchal d’Angoulême, et que les dénonciateurs eux-mêmes n’osent en disconvenir. Mais ils ont dit en premier lieu que plusieurs des capitalistes accusés d’usure ne sont ni commerçants ni banquiers ; on a même produit des actes pour prouver que le sieur B… des E…, un des prêteurs attaqués, a déclaré, il y a quelques années, quitter le commerce. Ils ont dit en second lieu que lies intérêts n’étaient dans le commerce qu’au taux de six pour cent ; et comme les négociations dénoncées comme usuraires sont à un intérêt plus considérable, et sur le pied de neuf ou dix pour cent, ils ont conclu qu’on devait leur appliquer toute la rigueur des lois contre l’usure. Il faut avouer même qu’un grand nombre de prêteurs, entraînés par la terreur qui les avait saisis, ont en quelque sorte passé condamnation sur ce principe, en offrant imprudemment de restituer les sommes qu’ils avaient perçues au-dessus de six pour cent ; mais malgré cette espèce d’aveu, je ne pense pas que ni l’un ni l’autre des deux motifs allégués par les dénonciateurs puisse autoriser la voie criminelle contre les négociations dont il s’agit.

XLIV. — La qualité des prêteurs qui ne seraient pas commerçants ne peut servir de fondement à la voie criminelle.

C’est d’abord une erreur grossière que d’imaginer que le défaut de qualité, dans un prêteur qui ferait un autre métier que le commerce, puisse changer en rien la nature de l’engagement que prend avec lui un négociant qui lui emprunte des fonds. En effet, ce négociant n’est pas plus lésé, soit que celui qui lui prête fasse le commerce ou ne le fasse pas ; l’engagement de l’emprunteur n’en est