Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/314

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soit pour se faire, s’ils sont économes, un petit fonds mobilier qui devient leur ressource dans les cas imprévus de maladie, de cherté, de cessation d’ouvrage. Lorsque les objets de leurs dépenses augmentent de prix, ils commencent d’abord à se retrancher sur ce superflu et sur les jouissances qu’il leur procure. Mais c’est de cette espèce de superflu surtout que l’on peut dire qu’il est chose très-nécessaire ; il faut qu’il y en ait comme il faut qu’il y ait du jeu dans toutes les machines. Une horloge dont toutes les roues engraineraient les unes dans les autres avec une exactitude mathématique, sans le moindre intervalle, cesserait bientôt d’aller. Si par une diminution subite de salaire ou une augmentation de dépense, l’ouvrier peut supporter d’être réduit à l’étroit nécessaire, les mêmes causes qui avaient forcé les salaires de se monter un peu au delà du nécessaire d’hier, continuant d’agir, les feront remonter encore jusqu’à ce qu’ils atteignent un taux plus fort dans la même proportion avec le nécessaire d’aujourd’hui. Si le défaut des moyens de payer s’opposait à ce retour à la proportion naturelle, si la diminution du revenu des propriétaires leur persuadait de se refuser à cette augmentation de salaire, l’ouvrier irait chercher ailleurs une aisance dont il ne peut se passer ; la population diminuerait, et cela jusqu’au point que la diminution du nombre des travailleurs, en restreignant leur concurrence, les mît en état de faire la loi et de forcer les propriétaires à hausser les prix. À la vérité, si la baisse du prix des denrées occasionnée par la diminution de la consommation se soutenait, l’augmentation des salaires serait moins forte ; mais cette baisse dans le prix des denrées ayant diminué les profits du cultivateur, l’obligerait de diminuer ses dépenses productives et par conséquent la production : or, de la moindre production doit résulter le retour à un prix plus élevé. Si chacun de ces effets avait lieu dans toute son étendue, la perte résultante du nouvel impôt retomberait sur le propriétaire de plusieurs façons différentes, puisqu’il aurait moins de revenu et ne pourrait avec le même revenu se procurer les mêmes objets de jouissance, ce qui ferait une perte double. Mais il y a lieu de croire que les uns compensent les autres, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision comment ils se compensent et s’ils se compensent exactement. De quelque manière que se fasse cette compensation, et en supposant même qu’elle soit entière, il en résulte qu’au moins le propriétaire supportera toujours, ou en aug-