Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/313

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qu’un nouvel impôt sur ses consommations augmente sa dépense de 2 sous, il faut ou qu’il se fasse payer sa journée plus cher, ou qu’il diminue sa consommation. Il est évident que si sa journée est payée plus cher, c’est aux dépens du propriétaire ou du cultivateur, puisqu’il n’y a qu’eux qui aient de quoi payer, et quand c’est le cultivateur qui paye, c’est encore aux dépens du propriétaire, comme je viens de le prouver plus haut ; mais le journalier fait d’autant moins la loi qu’il est plus mal à son aise, et le propriétaire se prêtera difficilement d’abord à l’augmentation des salaires. Il faudra que le salarié diminue sa consommation et qu’il souffre. Or, cette diminution de consommation diminuera d’autant la demande des denrées, et, toujours en dernière analyse, celle des denrées de subsistance. Ces denrées par conséquent diminueront de valeur ; or, cette diminution de valeur, sur qui tombera-t-elle ? Sur celui qui vend la denrée, sur le cultivateur, qui, retirant moins de sa culture, donnera d’autant moins de fermage à son propriétaire. Celui-ci paye donc tout dans tous les cas[1].

Néanmoins et dans la réalité, cette diminution forcée de la consommation du journalier ne saurait être durable, parce qu’elle le met dans un état de souffrance. Les salaires ont pris avant l’impôt un niveau avec le prix habituel des denrées, et ce niveau, qui est le résultat d’une foule de causes combinées et balancées les unes par les autres, doit tendre à se rétablir. Il est certain que la concurrence, en mettant les salaires au rabais, réduit ceux des simples manœuvres à ce qui leur est nécessaire pour subsister. Il ne faut pas croire cependant que ce nécessaire soit tellement réduit à ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim, qu’il ne reste rien au delà dont ces hommes puissent disposer, soit pour se procurer quelques petites douceurs,

    salaire à la simple subsistance n’est nullement une conséquence qu’on puisse déduire des règles de la distribution des richesses ; ce n’est qu’un fait qu’ont amené des erreurs séculaires, et les mille entraves apportées au développement du travail. C’est mal raisonner que de s’appuyer sur une telle proposition. (Hte D.)

  1. Nous avons cherché à démontrer dans les observations qui précèdent ce mémoire, que les salaires ne suivent pas la marche ascendante dont parle ici l’auteur, lorsque l’impôt les frappe. Les salaires ne se règlent pas aussi facilement. Il ne dépend pas plus de l’ouvrier de les augmenter quand la consommation diminue, qu’il ne dépend du chef d’usine de les diminuer quand elle augmente. Mais Turgot a raison de dire que le propriétaire finit par souffrir dans ses fermages de la diminution de consommation occasionnée par l’impôt. (Hte D.)