Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/32

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duquel il se trouve, commandent à l’orateur, qu’il n’accepte du christianisme que sa morale sublime, et le dogme, si important pour le bonheur de l’humanité, de l’existence de Dieu et de la spiritualité de l’âme[1]. Turgot est religieux à la manière de Socrate. En supposant que ce soit un tort, on ne doute pas que les chrétiens dignes de ce nom ne le lui pardonnent, et ne comprennent qu’au point de vue temporel du moins, la société n’a pas beaucoup à gémir de torts semblables.

Au surplus, il faut se hâter de le dire, cet homme qui n’eut toute sa vie qu’une passion, l’amour du vrai et du bien, était loin de considérer l’Évangile du même œil que les grands seigneurs beaux-esprits, les abbés de cour, et les traitants se disant philosophes, parce qu’ils étaient athées. Entre Voltaire, confondant la religion avec les erreurs de ses ministres, et le plus grand penseur du siècle écrivant ces paroles : « Chose admirable ! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d’objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci[2] », Turgot, malgré son extrême jeunesse, devait être et resta de l’avis de Montesquieu. Aussi, dans son premier discours, la thèse, si ancienne, de la supériorité du christianisme sur le paganisme, le parallèle, si vieux, du monde idolâtre avec le monde nouveau, semblent presque fournir un sujet tout neuf à son éloquence, tant il sait le rajeunir par la chaleur et l’élévation de la pensée ! Le mépris de la superstition, l’amour de la tolérance, ne lui paraissent pas devoir conduire à la négation des bienfaits du christianisme ; et il exalte au contraire avec force, dans un langage dont la sincérité n’a rien de suspect, tout ce qu’il y a de grand, de salutaire, de profondément social, dans une doctrine qui pose le niveau de l’égalité sur toutes les têtes, montre des frères aux forts dans les faibles, aux riches dans les pauvres, remplace la haine par l’amour, l’égoïsme par le dévouement, et enseigne à tous que le mérite consiste, non à diviniser ses passions, mais à les vaincre !

« Le livre de l’histoire moderne, a dit l’un de nos contem-

  1. On sait que Voltaire a dit : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »
  2. Esprit des lois, livre XXIV, chapitre iii.