Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/33

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porains les plus illustres (M. de Chateaubriand), vous restera fermé, si vous ne considérez le christianisme ou comme une révolution divine, laquelle a opéré une révolution sociale, ou comme un progrès naturel de l’esprit vers une grande civilisation, système théocratique, système philosophique, ou l’un et l’autre à la fois, lui seul peut vous initier aux secrets de la société nouvelle. » Turgot est du petit nombre des philosophes qui comprirent cette vérité au dix-huitième siècle, et de la famille de ceux qui la défendent encore au dix-neuvième. Tout en est preuve pour ainsi dire dans son discours, et jamais l’excellence du principe chrétien n’a été proclamée, peut-être, avec un talent supérieur.

L’orateur envisage successivement l’influence de la religion sur le bonheur individuel des hommes, et ses effets sur la constitution du corps politique ou de la société. Il expose d’abord la corruption du monde païen, et la barbarie de ses mœurs et de ses lois. Il montre le néant de la philosophie antique, l’incertitude, la bizarrerie, l’extravagance de ses opinions sur la divinité, la nature de l’homme, l’origine des êtres, et surtout son superbe dédain pour la multitude, qu’elle aime mieux mépriser qu’instruire. À ce tableau, il oppose les grandes lumières, qu’au sein même de la barbarie, les théologiens tant décriés du moyen âge répandirent sur les questions qui intéressaient le plus l’avenir de l’humanité. Il fait voir les sciences, les lettres, les arts conservés par le christianisme, et met en évidence le caractère éminemment social de toutes ses institutions. Il demande enfin ce que sont devenus l’Égypte, l’Asie, la Grèce, et toutes les contrées de la terre où il n’a pu s’établir. On a accusé le christianisme de porter atteinte aux vertus purement humaines, et d’affaiblir les sentiments de la nature. Il repousse ces reproches en ces termes : « Quoi donc ! elle aurait affaibli les sentiments de la nature, cette religion dont le premier pas a été de renverser les barrières qui séparaient les juifs des gentils ? cette religion qui, en apprenant aux hommes qu’ils sont tous frères, enfants d’un même Dieu, ne formant qu’une famille immense sous un père commun, a