Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/333

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tamer ni son capital, ni les intérêts de ses avances, ni les profits qu’il désire se réserver. Mais il ne va pas en faire confidence au propriétaire, et celui-ci n’a aucun moyen de s’instruire de ces détails avec quelque certitude. Dans le débat sur les prix des fermages, tout est donc à l’avantage du fermier, qui fait son offre en connaissance de cause et d’après des calculs exacts, tandis que le propriétaire ne fait sa demande qu’à l’aveugle et d’après le désir vague d’augmenter son revenu. Mais le fermier, en faisant son marché, désire aussi, de son côté, de se réserver le plus grand profit qu’il peut. S’il augmente le prix du fermage, ce n’est ni par générosité, ni par esprit de justice ; il ne l’augmente qu’autant qu’il y est forcé. Voyons donc comment il peut l’être.

Il est bien clair qu’il ne se détermine à augmenter le prix de son bail qu’autant qu’il craint qu’un autre fermier se présente et fasse une offre considérable pour le déposséder de sa ferme. C’est donc la seule concurrence des fermiers qui peut faire hausser le prix des baux ; ce prix s’établit, comme celui de toutes les choses vénales, par la comparaison de l’offre à la demande. L’entrepreneur de culture a besoin de trouver des terres à cultiver pour employer ses capitaux et ses bestiaux. Le propriétaire a besoin de trouver un fermier pour tirer un revenu de sa terre. Si le nombre des entrepreneurs de culture, si la masse des capitaux convertis en avances de culture augmente, le prix des fermages doit augmenter. Il doit au contraire diminuer si la masse des capitaux diminue. Le fermage ne peut donc hausser que parce qu’il existe entre les mains des entrepreneurs de culture une plus grande masse de capitaux, et parce qu’ils envisagent dans la culture l’espérance d’un profit suffisant pour les déterminer à y employer ce surcroît de capitaux. L’augmentation des baux n’empêche donc point que le cultivateur s’enrichisse, puisqu’au contraire elle n’a lieu que parce que le cultivateur est préalablement enrichi, et qu’en offrant, en conséquence de l’accroissement de ses capitaux, un plus haut fermage, il se retient cependant toujours l’intérêt de ces nouveaux capitaux, au moins à 10 pour 100 (car tel est l’intérêt ordinaire de l’argent mis dans les entreprises, soit de commerce, soit de fabrique, soit de culture[1]).

  1. La note précédente démontre que ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Si aujourd’hui le profit des capitaux employés si la culture est de 10 pour 100, ce profit doit nécessairement diminuer au fur et à mesure de l’abondance des capitaux.