Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/337

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ne se fait qu’avec des bœufs, même dans les pays de plaine, parce que les bœufs coûtent moins que les chevaux, et parce qu’on les nourrit à moins de frais en leur abandonnant le pâturage d’une partie des terres qu’on laisse en friche. Il faut ainsi débourser moins d’argent. Mais toute cette partie de terres livrée aux bestiaux demeure sans valeur ; le propriétaire est alors le véritable entrepreneur de culture, c’est lui qui court tous les hasards. Dans les mauvaises années, il est obligé de nourrir ses métayers, au risque de perdre ses avances. Cette forme de régie exige de la part du propriétaire des attentions continuelles et une résidence habituelle ; aussi voit-on que pour peu qu’un propriétaire éprouve de dérangement dans ses affaires ou soit forcé de s’absenter, son domaine cesse de lui rien produire. Les biens des veuves, des mineurs, tombent le plus souvent en friche, et c’est dans ces provinces que le proverbe « Tant vaut l’homme, tant vaut sa terre » est constamment vrai, parce que la terre n’y a point, comme dans les provinces riches, une valeur locative courante.

Cette différence, monsieur, n’est pas causée par la différente fertilité des terres. Les plaines depuis Poitiers jusqu’à Angoulême, une partie du Berri, de la Touraine, du Périgord, du Quercy, sont certainement au moins égales en bonté aux terres des environs de Paris. Pourquoi donc ne sont-elles pas exploitées de la même manière ? pourquoi sont-elles, à raison de leur étendue, si peu fructueuses au propriétaire ? Celui-ci trouverait sans doute fort commode de donner sa terre à un fermier qui la ferait valoir, d’être dispensé de faire aucunes avances et de n’avoir d’autre peine, pour jouir de son revenu, que de toucher son argent aux échéances. Si donc il n’afferme pas sa terre, c’est qu’il ne trouve point de fermiers, et il n’en trouve point parce qu’il n’existe point de cultivateurs qui, possesseurs de capitaux considérables, les emploient à la culture des terres. La culture n’a jamais été sans doute assez lucrative dans ces provinces pour que les misérables métayers qui l’ont exercée de génération en génération aient pu amasser des capitaux suffisants à en faire les avances, et sans doute elle ne l’est pas assez encore pour que des possesseurs de capitaux imaginent de prendre le métier de cultivateur et de les faire ainsi valoir.

Or pourquoi, à fécondité égale, la culture est-elle moins lucrative dans les provinces de l’intérieur du royaume que dans les pro-