Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/338

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vinces à portée de la capitale et des débouchés maritimes ? La raison s’en présente d’elle-même, c’est que les denrées n’y ont pas la même valeur. En effet, malgré les entraves que notre ancienne police mettait au commerce des grains, l’immense consommation de la capitale et la concentration des dépenses dans cette partie du royaume y a toujours soutenu un prix moyen un peu au-dessus du prix du marché général pour les consommateurs, et qui pour les vendeurs n’a pas été assez au-dessous pour que la culture par fermier n’ait pu se soutenir. Dans les provinces méditerranées, au contraire, le prix moyen pour les vendeurs a été constamment très-inférieur au prix du marché général, c’est-à-dire au prix commun de la capitale et des ports. Dès lors la grande culture, ou la culture par fermiers, n’a pu s’y établir.

Mais on doit espérer qu’elle y deviendra commune lorsque les fermiers des pays de grande culture, enrichis, chercheront à étendre de proche en proche leurs entreprises et leurs exploitations, et lorsque l’augmentation du prix dans les pays de petite culture, par la communication avec le marché général, leur offrira des bénéfices suffisants pour rendre cet emploi de leurs capitaux avantageux. Il est certain que la grande culture s’est étendue dans des provinces où elle n’avait pas lieu autrefois, puisqu’en Beauce les fermes conservent encore le nom de métairies quoiqu’il n’y ait plus de métayers. L’on peut conjecturer que ce changement s’est opéré par une suite des accroissements des villes de Paris et d’Orléans, et peut-être par l’effet de la valeur qu’acquirent les grains pendant l’administration de M. de Sully.

Un exemple plus frappant de l’extension de la grande culture par l’accroissement de la richesse des cultivateurs et par la valeur constante assurée aux productions de la terre, est l’état actuel de l’Angleterre, d’où la culture par métayer est entièrement bannie. Toutes les terres y sont cultivées par des fermiers, ou par des propriétaires riches qui font eux-mêmes valoir leurs domaines. Déjà l’on commence à ne presque plus connaître les métayers en Écosse, si ce n’est dans les extrémités les plus pauvres de ce dernier royaume.

Daignez à présent considérer, monsieur, quels changements doit amener la liberté du commerce des grains dans les provinces où ce système de culture par métayers est établi. Vous conviendrez d’abord