Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/339

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que les avantages de l’augmentation du prix moyen du vendeur s’y feront sentir immédiatement au cultivateur métayer, puisque celui-ci partage avec son maître les fruits par moitié. On pourra donc espérer qu’enfin cette classe d’hommes sortira par degrés de sa misère, qu’ils pourront se former peu à peu un petit capital de bestiaux, qui, s’augmentent successivement, leur fournira les moyens de faire eux-mêmes les avances de la culture et de cultiver pour leur profit en donnant à leur propriétaire un loyer de sa terre. Par là, de métayers ils deviendront à la longue fermiers, et leurs profits continuant de s’accroître, leur culture deviendra de plus en plus lucrative, de plus en plus productive, à l’avantage d’eux-mêmes, des propriétaires, et surtout de l’État entier par l’accroissement de la masse des subsistances et de la somme des revenus.

Cette révolution pourra être lente. Je conviens que pour être accélérée, elle aurait besoin de quelques autres opérations du gouvernement et surtout d’un changement dans la forme de l’impôt territorial[1] ; mais en attendant qu’elle soit opérée, les propriétaires recueilleront immédiatement les fruits du haussement des valeurs et de l’augmentation des productions de leurs terres ; leur richesse tournera en grande partie à l’accroissement de la culture par l’augmentation de leurs avances en bestiaux, en bâtiments, en plantations ; par les améliorations de toute espèce, défrichements, dessèchements, fossoyements, clôtures, etc., qu’ils seront en état de faire dans leurs domaines.

Dans les provinces les plus voisines de celles où il y a des fermiers, la révolution sera encore plus rapide, parce que l’espèce de ces hommes précieux ne pouvant manquer de devenir plus nombreuse par l’effet des accroissements des capitaux de la culture, les fermiers, repoussés de proche en proche par la concurrence, reflueront sur les terres qui n’étaient précédemment exploitées que par des métayers.

Observez, monsieur, que ces terres ainsi exploitées par des métayers, et dont la culture et le revenu sont si médiocres, forment, suivant l’évaluation de M. Du Pré de Saint-Maur, dans son ouvrage sur les monnaies, les quatre septièmes du royaume. Quand

  1. Chaque fois que Turgot parle de réformes, il semble qu’il était dans le secret des grands actes que devait voir s’accomplir la révolution. Ses paroles sont alors comme une prophétie, une révélation. (Hte D.)