Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objets de leurs besoins, l’unique fonds des salaires de toutes les autres classes de la société. Ces salaires sont le prix du travail et de l’industrie, mais le travail et l’industrie n’ont de valeur qu’autant qu’il y a de quoi les payer, c’est-à-dire, autant que la culture a fait naître des productions consommables et propres aux jouissances des hommes, au delà de ce qui en est nécessaire pour la subsistance du cultivateur ; le consommateur dépend donc doublement de la culture, il a un double intérêt à ce qu’elle prospère, et pour qu’il existe des subsistances, et pour qu’il ait, lui consommateur, de quoi les acheter en vendant son travail ; il a intérêt de vendre son travail assez cher pour pouvoir payer, avec le prix qu’il en reçoit, les denrées dont il a besoin, et il doit payer ces denrées assez cher pour que celui qui les lui vend tire de leur prix de quoi en faire renaître une égale quantité l’année suivante, et de quoi continuer à lui acheter son travail. Sans cette juste proportion, ou le cultivateur cesserait de faire produire à la terre des denrées et du revenu, ou le salarié cesserait de travailler, ou plutôt ces deux choses arriveraient en même temps, parce que le cultivateur et le salarié, le salaire et le travail étant des corrélatifs nécessaires, ayant un égal besoin l’un de l’autre, il faut qu’ils existent ou qu’ils s’anéantissent ensemble. Par conséquent, si cette proportion n’avait pas lieu, la population diminuerait, la société se détruirait. N’oublions pas d’observer que cette diminution du nombre des hommes commencerait par la classe des consommateurs salariés. S’il y a moins de subsistances produites, il faut que quelqu’un meure de faim, et ce ne sera pas le cultivateur, car avant de faire part de sa récolte à qui que ce soit, il commence par prendre ce qui lui est nécessaire. S’il n’a du grain que pour lui, il n’en donnera pas à son cordonnier pour payer des souliers ; il ira pieds nus et vivra. Si la production diminue au point de ne donner précisément que la nourriture du cultivateur, le dernier grain de blé sera pour lui, et le propriétaire sera forcé de cultiver lui-même pour ne pas mourir de faim. — On peut donc dire que, dans un sens, le consommateur est plus intéressé que le cultivateur et le propriétaire à l’extension de la culture. Pour ceux-ci, il ne s’agit que d’être plus ou moins riches, de vivre plus ou moins commodément ; mais pour le consommateur salarié, il s’agit de l’existence ; il s’agit de vivre ou de mourir. — Si chaque homme consomme trois setiers de blé ou