Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/343

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autres subsistances équivalentes, il faut compter autant d’hommes de moins qu’il y aura de fois trois setiers de blé retranchés de la production annuelle. Et ces hommes de moins seront pris sur la classe des consommateurs salariés, ou, comme on dit, du pauvre peuple[1].

Puisque la société subsiste, il faut que la proportion nécessaire entre le prii des denrées et le prix des travaux subsiste habituellement. Mais cette proportion ne consiste pas dans un point tellement précis, tellement indivisible qu’elle ne puisse varier et s’éloigner plus ou moins de l’équilibre le plus juste et le plus avantageux aux deux classes. Alors l’une ou l’autre souffre plus ou moins, et toutes les deux un peu. Il y a entre la santé et la mort un milieu qui est la maladie ; il y a même mille degrés de langueur entre la maladie et la santé. La proportion peut être tellement dérangée pendant des intervalles plus ou moins longs, qu’un grand nombre d’hommes éprouvent tous les excès de la misère, et que les sociétés soient dans un état ou de crise et de convulsion, ou de langueur et de dépérissement. Que doit-on désirer ? deux choses. Premièrement, que cette proportion entre le prix des salaires et le prix des denrées de consommation soit la plus juste, la plus approchante du point d’équilibre, la plus avantageuse qu’il est possible pour le cultivateur et le propriétaire d’un côté, pour le salarié de l’autre ; la plus propre enfin à procurer à la société entière la plus grande somme de productions, de jouissances, de richesse et de force. Secondement, que les dérangements occasionnés par la variation des causes naturelles soient les plus rares, les plus courts, les plus légers qu’il est possible.

Voilà, monsieur, le vrai but de la législation sur l’article des subsistances. — Il ne s’agit plus que d’examiner quel moyen conduit le mieux à ce but, de la liberté ou des prohibitions et des règlements ? J’ose dire que cette manière de poser l’état de la question la décide, car le juste prix et le prix égal résultent tous deux nécessairement du commerce libre, et ne peuvent résulter que du commerce libre. Je ne développerai pas ici cette idée qui me con-

  1. Cette remarque est vraie autant qu’effrayante. Oui, il y a des hommes qui meurent quand la récolte est moins abondante. Il y a des hommes qui sont sur l’extrême limite du besoin et de la possibilité de le satisfaire. — À Londres, nous le répétons, on a remarqué qu’une augmentation de 1 schelling sur le prix des blés produisait une augmentation proportionnelle dans le nombre des décès. (Hte D.)