Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/344

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duirait trop loin, et me détournerait de l’objet particulier de cette lettre. Il me suffit d’avoir indiqué, en la commençant, la source des salaires du consommateur et la manière dont son intérêt est lié avec celui de la culture. Je vais maintenant faire l’énumération des avantages que les consommateurs doivent retirer de la liberté du commerce des subsistances.

C’est certainement pour le consommateur un premier avantage incontestable, que l’augmentation de la masse des subsistances produites chaque année. Cette augmentation est une suite nécessaire de l’extension et de l’amélioration de la culture. Or, la culture doit s’étendre et s’améliorer, puisqu’elle est plus profitable. Les états des défrichements envoyés à M. d’Ormesson, semblent annoncer une extension très-considérable depuis quatre ans ; et quoiqu’on puisse rabattre un peu des espérances brillantes que donnent ces états, du moins on ne peut douter qu’il n’y ait quelques défrichements réels. Dans la province où je suis, il est visible à l’œil que la quantité de bruyères qu’on est dans l’usage de cultiver après un repos d’un très-grand nombre d’années, en brûlant les gazons, est infiniment plus considérable depuis deux ou trois ans qu’elle ne l’était les années précédentes. Au surplus, cet objet des défrichements est et sera toujours, quel qu’il soit, très-peu de chose en comparaison des améliorations faites à la culture des terres déjà en valeur : ce sont les marnes, les engrais de toute espèce, les fumiers répandus de tous côtés sur les anciens guérets, les fermes et les métairies réparées, garnies d’arbres, meublées de bestiaux, qui sont le vrai fondement des assurances qu’on doit avoir d’une augmentation prodigieuse dans la production[1], Ce genre d’amélioration n’est sujet à aucune formalité ; les frais en sont bien moindres, et les produits bien plus sûrs que ceux des défrichements. Voilà la mine véritablement inépuisable qu’a ouverte le rétablissement des débouchés

  1. Dans un pays civilisé les friches sont loin d’être une honte, comme quelques hommes voudraient le faire croire. Les friches prouvent un fait heureux, c’est qu’une nation a plus de terre que ses besoins ne le demandent, et c’est là un fait heureux, assurément. — Turgot a bien raison. Nous avons mille améliorations à faire avant d’arriver aux défrichements. Marner, défoncer, fumer, retourner les terres cultivées, voilà qui est plus efficace que de défricher de mauvaises landes ; et en vérité, quand on connaît la culture d’une bonne partie de la France, on est étonné qu’on ne commence pas par le défrichement des terres cultivées.

    Cultiver les friches, les mauvais sols, c’est donner une prime à la rente des bons sols, ce n’est pas augmenter la production relative. (Hte D.)