Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/368

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Dans une grande partie du royaume et dans les provinces de l’intérieur éloignées de la capitale et des ports, le prix moyen a été encore plus au-dessous du prix du marché général ; ainsi l’on doit s’attendre que la communication avec le marché général y fera monter les prix. J’ai déjà observé l’avantage immense qui résulterait de cette augmentation pour la culture, pour la richesse particulière et publique ; j’ai maintenant à prouver que ce changement, bien loin d’être préjudiciable aux consommateurs, leur sera au contraire infiniment profitable.

Je n’ai pas besoin de dire que lorsque le changement sera fait, les consommateurs de ces provinces seront au niveau de ceux où il n’y aura pas eu d’augmentation ; qu’ils jouiront de tous les avantages que j’ai développés dans cette lettre ; qu’ils auront une plus grande masse de denrées, une plus grande somme de salaires à partager ; que l’égalisation des prix fera monter leurs salaires dans la proportion du prix moyen, quel qu’il soit, au lieu qu’il est à présent au-dessous ; que cette égalisation les garantira de l’excès de la misère à laquelle les expose trop souvent l’inégalité des prix. Tout cela est assez évident de soi. Il ne peut y avoir de doute sur leur sort que pour le moment du passage. Or, dans le cours naturel des choses, ce passage doit être très-doux et très-tolérable :

1o Parce que le haussement résultant de la liberté, qu’encore une fois on ne doit pas confondre avec l’effet des mauvaises récoltes, puisque c’est le défaut d’une liberté assez affermie et assez entière qui les a au contraire rendues si funestes, ce haussement, dis-je, ne doit naturellement se faire que lentement et par degrés. Tel sera l’effet des communications du commerce, et ces communications ne sont pas encore établies. — Il faut du temps au commerce pour se monter. Les communications ne s’établiront, le commerce ne prendra son cours que peu à peu, et les prix moyens ne hausseront non plus que peu à peu et à mesure que tous les autres avantages de la liberté se développeront.

2o Parce que la cherté qui a lieu dans les années de disette rend le prix moyen moins inférieur qu’on ne l’imaginerait au prix de la capitale, et même au prix du marché général. Je vois qu’à Limoges, depuis 1739 jusqu’en 1764, époque de l’établissement de la liberté, le prix moyen du seigle a été d’environ 10 livres le setier, mesure de Paris, quoiqu’on 1745 il ait baissé jusqu’à 4 livres