Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/369

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13 sous, et qu’en 1739 il ait passé 30 livres ; le prix du froment a été d’environ 15 livres. J’augure que par la liberté ou par la communication avec le marché général, le prix du seigle montera aux environs de 12 à 13 livres, et celui du froment aux environs de 18 à 20 livres. Une pareille augmentation n’est pas assez forte pour mettre le peuple dans la détresse et l’empêcher d’attendre sans peine que le salaires se soient mis au niveau. J’observe même à ce sujet qu’en Limousin, en Auvergne, en Forez et dans plusieurs des provinces où ce haussement sera le plus sensible, l’habitude où sont une partie des habitants d’aller travailler pendant une partie de l’année dans les provinces plus riches, doit faciliter et hâter l’établissement du niveau dans le prix des salaires, car on remarque que cette émigration n’est pas toujours égale : quand les subsistances deviennent plus difficiles dans la province, l’émigration est plus forte. Si donc les salaires n’étaient pas dans la proportion commune avec la valeur des subsistances, le nombre des travailleurs diminuant, les propriétaires seraient forcés de les retenir en les payant mieux, et ils se refuseraient d’autant moins à cette augmentation nécessaire, que l’accroissement de leurs revenus, doublement fondé, et sur l’égalisation et sur le haussement du prix, les mettra en état de faire travailler davantage et de payer les travailleurs plus chèrement.

À ces deux considérations j’en joindrai une plus rassurante encore sur les dangers de cette révolution : c’est qu’elle est déjà faite. À la vérité, si c’est un bien, on Je doit en partie à un grand mal. Il est à présumer, comme je l’ai déjà dit d’abord, que suivant le cours ordinaire des choses, elle aurait été plus lente. Mais le concours des circonstances ayant amené à la suite du rétablissement de la liberté cinq mauvaises années en six ans, les grains sont montés dans le royaume à un prix très-haut, et dans quelques provinces à un prix excessif. Le surhaussement, bien loin d’être l’effet de la liberté, doit être au contraire attribué à ce que la liberté, depuis son établissement, avait été trop restreinte et trop combattue, à ce qu’elle n’était pas encore assez anciennement établie pour que le commerce se fût monté ; et en effet, il est notoire que le commerce des grains est encore à naître dans les provinces de l’intérieur, nommément dans celle-ci ; à quoi il faut ajouter que les contradictions qu’il éprouve de la part des tribunaux et des officiers de police, dans