Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/38

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C’est dans ce même discours, semé de considérations profondes, et toujours exprimées dans un style digne du sujet, que l’orateur, parlant des colonies phéniciennes qui s’étaient répandues sur les côtes de la Grèce et de l’Asie Mineure, prophétisait de cette manière l’indépendance future du Nouveau-Monde : « Les colonies, sont comme des fruits qui ne tiennent à l’arbre que jusqu’à leur maturité : devenues suffisantes à elles-mêmes, elles firent ce que fit depuis Carthage, ce que fera l’Amérique un jour. »

De fortes études philosophiques et littéraires, un esprit avide de tous les genres d’instruction, et l’ardent désir d’être utile à l’humanité, servaient donc, comme on voit, de point de départ aux premiers pas que Turgot allait faire dans le monde. Les espérances qu’on en pouvait concevoir furent complètement justifiées par la période de sa vie publique, qui eut pour terme sa nomination à l’intendance de Limoges (1751-1761).

Turgot ne conserva qu’un an la place de substitut du procureur-général. Il fut nommé conseiller au Parlement le 30 décembre 1752, et maître des requêtes le 28 mars 1753. Ce nouveau poste était conforme à ses désirs, parce qu’il n’était entré dans la magistrature proprement dite que pour s’ouvrir la porte de la haute administration, carrière qui lui paraissait offrir plus de moyens que toute autre de servir ensemble la patrie, la justice et la vérité. Il était naturel, en effet, qu’au devoir d’appliquer à des procès civils ou criminels une législation la plupart du temps absurde ou barbare ; qu’au rôle de membre de corporations à vues étroites, égoïstes et tracassières, telles que l’étaient les Parlements, un esprit élevé et généreux préférât celui de porter la lumière dans les conseils du pouvoir, et l’ambition noble d’influer un jour sur le bonheur d’une province, ou peut-être même de l’État. On sait que les intendants étaient presque toujours choisis parmi les maîtres des requê-

    de l’emporter sur les autres ; que l’amour de la liberté ne fût celui de la supériorité sur ses concitoyens ; l’amour de la patrie, le désir de profiter de sa grandeur ; et il le prouvait, en observant combien il importait peu au plus grand nombre, ou d’avoir de l’influence sur les affaires publiques, ou d’appartenir à une nation dominatrice. » (Pages 273 et suivantes.)