Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/39

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tes, et que souvent encore les ministres se recrutaient parmi les intendants. On rapporte de Turgot, dans ses nouvelles fonctions de maître des requêtes, un trait d’une bien rare délicatesse. Il avait été chargé de l’examen d’une affaire où Un employé des fermes se trouvait inculpé de graves prévarications. Dans la persuasion que cet homme était coupable, il ne se pressait pas beaucoup d’accomplir contre lui un devoir de rigueur. Cependant, ayant pris connaissance des pièces après de longs délais, il y trouva la preuve que l’accusé était innocent. Sans s’arrêter alors à la pureté des motifs de sa négligence, Turgot se crut dans l’obligation rigoureuse de réparer le tort que remployé en avait souffert. Il s’enquit de la somme d’appointements dont celui-ci avait été privé pendant la durée du procès, et la lui fit remettre avec la déclaration que ce n’était point Un acte de générosité, mais de justice.

La position et les talents de Turgot ne tardèrent pas à le mettre en rapport avec tous les hommes les plus distingués de son époque. Il fut admis chez Mme Geoffrin, dont le salon était le rendez-vous des savants, des littérateurs, des artistes, et de tous les étrangers de distinction qui visitaient la capitale. Là, il se rencontrait avec Montesquieu, d’Alembert, Helvétius, le baron d’Holbach, les abbés Bon et Morellet, l’abbé Galiani, Raynal, Mairan, Marmontel, Thomas, et une foule d’autres personnages plus ou moins célèbres. Plusieurs devinrent ses amis, et il jouit bientôt dans cette société, ainsi que dans plusieurs autres, de la réputation d’un homme de goût et de jugement. Mais ce monde de philosophes, où fermentaient tout à la fois les germes de tant d’idées vraies et fausses, où s’élaboraient tant de systèmes empreints de raison et d’extravagance, fut loin d’imposer ses opinions à Turgot.

Convaincu que la possession de la vérité n’est le privilège exclusif de personne, il se tourna vers la lumière de quelque part qu’elle vînt, mais ne voulut pas enchaîner son libre arbitre à aucune secte, et rendre sa conscience solidaire des erreurs d’aucun parti. Alors, comme plus tard, il concentra son activité dans la culture des sciences et des lettres et dans le de-