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vue qu’il précédait de quinze ans l’immortel ouvrage de la Richesse des nations. Enfin, comme nous l’apprend la lettre qui l’accompagne, Turgot avait rédigé ce travail à la hâte, et il n’y voyait qu’une simple note destinée à fournir à Marmontel, officiellement chargé de l’éloge de Gournay, les matériaux nécessaires à cet académicien pour accomplir la mission qui lui était confiée.

Nous rattachons à cet éloge le préambule que lui avait donné Dupont de Nemours, dans la notice suivante sur les Économistes du dix-huitième siècle. (E. D.)

NOTICE SUR LES ÉCONOMISTES.

Les économistes français, fondateurs de la science moderne de l’économie politique, ont eu pour précurseurs le duc de Sully, qui disait : Le labourage et le pâturage sont les mamelles de l’État ; le marquis d’Argenson, de qui est la belle maxime : Pas trop gouverner ; et M. Trudaine le père, qui, dans la pratique, opposait avec courage cette utile maxime aux préventions des ministres, et aux préjugés de ses collègues les autres conseillers d’État.

Les Anglais et les Hollandais avaient entrevu quelques vérités, qui n’étaient que de faibles lueurs au milieu d’une nuit obscure. L’esprit de monopole arrêtait la marche de leurs lumières.

Dans les autres pays, si l’on excepte les trois hommes respectables que nous venons de nommer, personne n’avait même songé que le gouvernement eût à s’occuper de l’agriculture en aucune façon, ni du commerce autrement que pour lui imposer des règlements arbitraires et du moment, ou soumettre ses opérations à des taxes, à des droits de douane et de péage. — La science de l’administration publique relative à ces intéressants travaux, était encore à naître. On ne se doutait pas même qu’ils pussent être l’objet d’une science. Le grand Montesquieu n’y avait jeté qu’un regard si superficiel que, dans son immortel ouvrage, on trouve un chapitre intitulé : À quelles nations il est désavantageux de faire le commerce.

Vers 1750, deux hommes de génie, observateurs judicieux et profonds, conduits par une force d’attention très-soutenue à une logique rigoureuse, animés d’un noble amour pour la patrie et pour l’humanité, M. Quesnay et M. de Gournay, s’occupèrent avec suite de savoir si la nature des choses n’indiquerait pas une science de l’économie politique, et quels seraient les principes de cette science.

Ils l’abordèrent par des côtés différents, arrivèrent aux mêmes résultats, s’y rencontrèrent, s’en félicitèrent mutuellement, s’applaudirent tous deux en voyant avec quelle exactitude leurs principes divers, mais également vrais, conduisaient à des conséquences absolument semblables : phénomène qui se renouvelle toutes les fois qu’on n’est pas dans l’erreur ; car il n’y a qu’une nature, elle embrasse tout, et nulle vérité ne peut en contredire une autre. — Tant qu’ils ont vécu, ils ont été, et leurs disciples n’ont jamais cessé d’être, entièrement d’accord sur les moyens de faire prospérer l’agriculture, le commerce et les finances, d’augmenter le bonheur des nations, leur population, leurs richesses, leur importance politique.

M. de Gournay, fils de négociant, et ayant été longtemps négociant lui-même, avait reconnu que les fabriques et le commerce ne pouvaient fleurir que par la liberté et par la concurrence qui dégoûtent des entreprises inconsidérées, et mè-