Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/399

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est la même chose, l’État ne peut s’intéresser au commerce que sous deux points de vue. Comme protecteur des particuliers qui le composent, il est intéressé à ce que personne ne puisse faire à un autre un tort considérable, et dont celui-ci ne puisse se garantir. Comme formant un corps politique obligé à se défendre contre les invasions extérieures, et à employer de grandes sommes dans des améliorations intérieures, il est intéressé à ce que la masse des richesses de l’État, et des productions annuelles de la terre et de l’industrie, soit la plus grande qu’il est possible. Sous l’un et l’autre de ces points de vue, il est encore intéressé à ce qu’il n’arrive pas dans la valeur des denrées de ces secousses subites qui, en plongeant le peuple dans les horreurs de la disette, peuvent troubler la tranquillité publique et la sécurité des citoyens et des magistrats. Or, il est clair que l’intérêt de tous les particuliers, dégagé de toute gêne, remplit nécessairement toutes ces vues d’utilité générale.

1o Quant au premier objet, qui consiste à ce que les particuliers ne puissent se nuire les uns aux autres, il suffit évidemment que le gouvernement protège toujours la liberté naturelle que l’acheteur a d’acheter et le vendeur de vendre. Car l’acheteur étant toujours maître d’acheter ou de ne pas acheter, il est certain qu’il choisira entre les vendeurs celui qui lui donnera au meilleur marché la marchandise qui lui convient le mieux. Il ne l’est pas moins que chaque vendeur, ayant l’intérêt le plus capital à mériter la préférence sur ses concurrents, vendra en général la meilleure marchandise, et au plus bas prix qu’il pourra, pour s’attirer les pratiques. Il n’est donc pas vrai que le marchand ait intérêt de tromper, à moins qu’il n’ait un privilège exclusif.

Mais, si le gouvernement limite le nombre des vendeurs par des privilèges exclusifs ou autrement, il est certain que le consommateur sera lésé, et que le vendeur, assuré du débit, le forcera d’acheter chèrement de mauvaises marchandises.

    ce qui est fort différent. Car les droits de chacun finissant où commencent ceux des autres, et les économistes n’ayant jamais contesté cet axiome de morale, il est clair que, pour que tout homme puisse faire ce qu’il voudra, il faut que personne ne veuille faire ce qui serait déraisonnable, et injuste par conséquent. Or, il nous semble qu’il n’y a pas de meilleur moyen d’empêcher les hommes d’être injustes, que de rendre toutes les transactions parfaitement libres, puisqu’en dernière analyse toute injustice ne consiste que dans une atteinte matérielle ou morale à la liberté d’autrui. (E. D.)