Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/432

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que la nature des fonds la mette à l’abri des révolutions du temps sur les richesses publiques : l’immutabilité que les fondateurs ont cherché à lui donner est encore un inconvénient considérable, parce que le temps amène de nouvelles révolutions qui font disparaître l’utilité dont elle pouvait être dans son origine, et qui peuvent même la rendre nuisible. La société n’a pas toujours les mêmes besoins : la nature et la distribution des propriétés, la division entre les différents ordres du peuple, les opinions, les mœurs, les occupations générales de la nation ou de ses différentes portions, le climat même, les maladies et les autres accidents de la vie humaine, éprouvent une variation continuelle : de nouveaux besoins naissent, d’autres cessent de se faire sentir ; la proportion de ceux qui demeurent change de jour en jour dans la société, et avec eux disparaît ou diminue l’utilité des fondations destinées à y subvenir. Les guerres de Palestine ont donné lieu à des fondations sans nombre, dont l’utilité a cessé avec ces guerres. Sans parler des ordres de religieux militaires, l’Europe est encore couverte de maladreries, quoique depuis longtemps on n’y connaisse plus la lèpre. La plupart de ces établissements survivent longtemps à leur utilité : premièrement, parce qu’il y a toujours des hommes qui en pro6tent et qui sont intéressés à les maintenir ; secondement, parce que, lors même qu’on est bien convaincu de leur inutilité, on est très-longtemps à prendre le parti de les détruire, à se décider, soit sur les mesures et les formalités nécessaires pour abattre ces grands édifices affermis depuis tant de siècles, et qui souvent tiennent à d’autres bâtiments qu’on craint d’ébranler ; soit sur l’usage ou le partage qu’on fera de leurs débris ; troisièmement, parce qu’on est très-longtemps à se convaincre de leur inutilité, en sorte qu’ils ont quelquefois le temps de devenir nuisibles avant qu’on ait soupçonné qu’ils sont inutiles.

Il y a tout à présumer qu’une fondation quelque utile qu’elle paraisse, deviendra un jour au moins inutile, peut-être nuisible, et le sera longtemps : n’en est-ce pas assez pour arrêter tout fondateur qui se propose un autre but que celui de satisfaire sa vanité ?

4o  Je n’ai rien dit encore du luxe des édifices et du faste qui environne les grandes fondations : ce serait quelquefois évaluer bien favorablement leur utilité, que de l’estimer la centième partie de la dépense.

5o  Malheur à moi si mon objet pouvait être, en présentant ces