Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/511

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monopole comme acheteur, et qui en souffre en même temps comme vendeur. Il n’y a que lui qui ne puisse acheter librement des étrangers aucune des choses dont il a besoin ; il n’y a que lui qui ne puisse vendre aux étrangers librement la denrée qu’il produit, tandis que le marchand de drap ou tout autre achète tant qu’il veut le blé des étrangers, et vend autant qu’il veut son drap aux étrangers. Quelques sophismes que puisse accumuler l’intérêt particulier de quelques commerçants, la vérité est que toutes les branches de commerce doivent être libres, également libres, entièrement libres ; que le système de quelques politiques modernes, qui s’imaginent favoriser le commerce national en interdisant l’entrée des marchandises étrangères, est une pure illusion ; que ce système n’aboutit qu’à rendre toutes les branches de commerce ennemies les unes des autres, à nourrir entre les nations un germe de haines et de guerres dont les plus faibles effets sont mille fois plus coûteux aux peuples, plus destructifs de la richesse, de la population, du bonheur, que tous les petits profits mercantiles qu’on imagine s’assurer ne peuvent être avantageux aux nations qui s’en laissent séduire. La vérité est qu’en voulant nuire aux autres on se nuit à soi-même[1], non-seulement parce que la représaille de ces prohibitions est si facile à imaginer que les autres nations ne manquent pas de s’en aviser à leur tour, mais encore parce qu’on s’ôte à soi-même les avantages inappréciables d’un commerce libre ; avantages tels que, si un grand État comme la France voulait en faire l’expérience, les progrès rapides de son commerce et de son industrie forceraient bientôt les autres nations de l’imiter pour n’être pas appauvries par la perte totale de leur commerce.

Mais, quand tous ces principes ne seraient pas, comme j’en suis entièrement convaincu, démontrés avec évidence ; quand le système des prohibitions pourrait être admis dans quelque branche de commerce, j’ose dire que celui des fers devrait être excepté par une raison décisive, et qui lui est particulière.

Cette raison est que le fer n’est pas seulement une denrée de consommation utile aux différents usages de la vie : le fer qui s’emploie en meubles, en ornements, en armes, n’est pas la partie

  1. Si ce principe n’est malheureusement pas d’une vérité rigoureuse dans les rapports individuels, il l’est certainement dans les rapports de nation à nation : c’est là, d’ailleurs, le sens que Turgot lui a donné (E. D.)