Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/515

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avec le revenu de leurs bois les fers que leur vendent les autres provinces.

S’obstiner, par les vues d’une politique étroite qui croit pouvoir tout tirer de son crû, à contrarier cet effet nécessaire, ce serait faire comme les propriétaires de Brie, qui croient économiser en buvant de mauvais vin de leur crû, qu’ils payent beaucoup plus cher par le sacrifice d’un terrain susceptible de produire de bon froment, que ne leur coûterait le vin de Bourgogne, qu’ils achèteraient de la vente de ce froment ; ce serait sacrifier un profit plus grand pour conserver un profit plus faible.

Ce que doit faire la politique est donc de s’abandonner au cours de la nature et au cours du commerce, non moins nécessaire, non moins irrésistible que le cours de la nature, sans prétendre le diriger ; parce que, pour le diriger sans le déranger et sans se nuire à soi-même, il faudrait pouvoir suivre toutes les variations des besoins, des intérêts, de l’industrie des hommes ; il faudrait les connaître dans un détail qu’il est physiquement impossible de se procurer, et sur lequel le gouvernement le plus habile, le plus actif, le plus détailleur, risquera toujours de se tromper au moins de la moitié, comme l’observe ou l’avoue l’abbé Galiani dans un ouvrage où cependant il défend avec le plus grand zèle le système des prohibitions précisément sur le genre de commerce où elles sont le plus funestes, je veux dire sur le commerce des grains. J’ajoute que, si l’on avait sur tous ces détails cette multitude de connaissances qu’il est impossible de rassembler, le résultat en serait de laisser aller les choses précisément comme elles vont toutes seules, par la seule action des intérêts des hommes qu’anime la balance d’une concurrence libre.

Mais, de ce qu’on ne doit pas repousser les fers étrangers dont on a besoin, il ne s’ensuit point qu’on doive accabler les fers nationaux par des droits, ou plutôt des taxes sur leur fabrication ou leur transport. Bien au contraire, il faut laisser la fabrication et le transport des fers nationaux entièrement libres en France, afin qu’ils puissent tirer le meilleur parti possible de nos mines et de nos bois tant que les entrepreneurs y trouveront de l’avantage, et qu’ils contribuent par leur concurrence à fournir à notre agriculture et à nos arts, au meilleur marché qu’il sera possible, les instruments qui leur sont nécessaires.