Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/519

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calculs de la cupidité de nos pères, et d’une affreuse iniquité dont ils n’entrevoyaient pas que les générations futures porteraient la peine ?

Ce sentiment de l’intime connexion de l’utile et du juste caractérise l’école de Quesnay, à laquelle Turgot appartient, et il explique toute l’importance que celui-ci attachait, avec elle, à la question de l’impôt. Précisément parce que le corps social éprouve des besoins nécessaires, ce grand homme pensait que la science de pourvoir à ces besoins n’est pas plus dénuée de principes que les autres sciences, et que par conséquent il existe un abîme entre elle et la fiscalité, dont le propre est de n’en point avoir. Il est à propos de remarquer que cette opinion a reçu de la loi même, depuis un demi-siècle, une sanction imposante. La déclaration qui porte que tous les citoyens contribuent dans la proportion de leur fortune aux charges de l’État, doit être considérée comme l’acceptation, par l’esprit humain, de la pensée des économistes, et c’est désormais à la science et au temps qu’il appartient de la faire prévaloir. Car, qui pourrait douter que des institutions fiscales, débris du moyen âge, ne soient point en harmonie avec la moralité de notre époque, et qui n’aperçoit que, condamnées en principe par le législateur, elles ne peuvent rester debout, nonobstant tous les efforts des passions humaines intéressées à les maintenir ? Il est vrai que depuis Turgot, à l’exception de Smith et de J.-B. Say, les économistes modernes sont loin d’avoir accordé à la question de l’impôt toute l’attention dont elle est digne. Mais la force des choses les y ramènera nécessairement ; et ceux d’entre eux, du moins, qui demandent à la science la vérité, et non des services, comprendront un jour que, sans parler de l’influence générale qu’ils exercent sur la production et la distribution de la richesse, les vices de l’assiette et de la répartition de l’impôt tombant, d’une manière presque exclusive, sur les travailleurs, c’est de ce côté surtout que doivent se tourner leurs efforts immédiats dans l’intérêt du peuple. Nous l’avouerons sans détour, c’est pour nous une anomalie inexplicable que d’entendre quelquefois sortir l’éloge de notre système contributif de la même bouche qui défend le droit de propriété et préconise la liberté industrielle et commerciale. Il nous semble que les atteintes à la propriété n’ont pas disparu avec la chute des corporations et des maîtrises[1], et que la liberté des échanges n’a pas été rétablie par le

  1. Nous ne citerons que deux genres de faits pour justifier notre opinion à cet