Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/57

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quence d’idées fausses, parce qu’on se livrait à l’aveugle impulsion de la routine, au lieu de s’éclairer des lumières d’une saine théorie. Voilà ce que les physiocrates voulurent enseigner à leurs contemporains, et ce qu’ils ne pouvaient leur apprendre avant d’avoir étudié le rôle du travail sous toutes ses faces, ou résolu d’une manière rationnelle l’importante question que nous avons rappelée plus haut. Ad. Smith a procédé de même ; mais, faute d’avoir déterminé avec autant de précision que ses devanciers la cause première de la richesse sociale, il est resté bien au-dessous d’eux, on doit le dire, au point de vue de la synthèse. Quelque admirables que soient la plupart de ses analyses, elles manquent d’un principe évident qui les rattache les unes aux autres, les embrasse toutes, les systématise, et permette à l’esprit de saisir d’un coup d’œil sûr l’ensemble des phénomènes économiques. C’est là, au contraire, le côté brillant de la théorie adoptée par Turgot, et qui apparaît surtout dans l’œuvre dont nous allons tenter une rapide analyse.

Toute société, parvenue à l’état de civilisation, se partage nécessairement en trois classes, savoir : 1o la classe productrice ou des cultivateurs ; 2o la classe stipendiée, qui comprend les agents de l’industrie manufacturière et commerciale, et tous ceux qui, n’appartenant pas à la classe précédente, vivent de salaires ; 3o la classe disponible ou des propriétaires du sol. L’auteur la nomme ainsi, parce qu’elle est la seule qui, « n’étant point attachée par le besoin de la subsistance à un travail particulier, puisse être employée aux besoins généraux de la société, comme la guerre et l’administration de la justice, soit par un service personnel, soit par le payement d’une partie de ses revenus, avec laquelle l’État ou la société soudoie des hommes pour remplir ces fonctions[1]. »

  1. Il faut répéter ici ce qui a déjà été dit cent fois, que Turgot et les physiocrates n’attachaient aucun sens injurieux à ces expressions de classe stipendiée ou de classe stérile, appliquées aux travailleurs de l’ordre non agricole. Ils n’eurent jamais la pensée de dégrader ces travailleurs par une dénomination humiliante comme Ta prétendu Smith ; reproche bien singulier de la part d’un auteur qui, se