Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/606

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ment ; le mal qui eût résulté de cet abus eût été très-léger, et l’intendant en fut puni par un déshonneur public. Il ne faut donc pas se faire une terreur panique de cet arbitraire.

Ce n’est pas que je veuille dire que l’opération du département soit bien faite ; mais les défauts de cette opération ne viennent pas de ce que les intendants y ont trop d’autorité, ils viennent de ce qu’on manque de moyens pour connaître la force des paroisses.

Les premières répartitions ont été faites anciennement ; on ignore sur quels principes, mais probablement d’une manière fort arbitraire et un peu à l’aveugle. On a toujours pris pour base, d’année en année, les répartitions précédentes, en observant de diminuer chaque année les paroisses affligées de quelque fléau passager ou qu’on croyait surchargées. Les diminutions qu’on accorde pour des accidents sont passagères, mais celles dont le motif est la surcharge de la paroisse demeurent, et c’est un changement dans la répartition qui se perpétue, parce qu’il a été généralement trouvé juste. La balance des paroisses entre elles varie ainsi d’année en année par des changements peu sensibles, et l’on arriverait à la longue par cette voie à une juste répartition, si le cadastre donnait la continence exacte, si les commissaires étaient plus exercés à connaître le produit net des différentes cultures, si la publicité de leurs opérations laissait lieu à toutes les réclamations fondées.

Estimer les terres est une science dont il n’y a pas plus de huit ans que les premiers principes sont posés. On ignorait jusqu’alors que pour connaître le revenu, il fallait défalquer de la valeur totale du produit tous les frais de culture et l’intérêt des avances du cultivateur. L’instruction pour les vingtièmes n’indiquait de retrancher que les frais de récolte[1]. Le contri-

  1. La loi du 23 novembre 1798 porte que le revenu net des terres est ce qui reste au propriétaire, déduction faite sur le produit brut des frais de culture, semences, récoltes, entretien et transport des denrées au marché, et que le produit imposable est ce même produit net moyen calculé sur un nombre d’années déterminé.

    Cela est un peu plus raisonnable que l’instruction sur les vingtièmes. Cependant il reste à se demander si la loi a compris, dans les frais de culture, le profit, au taux ordinaire, du capital de l’exploitant ; sans quoi l’omission prouverait qu’on avait oublié, en 1798, ce que Turgot enseignait vers 1760. L’on conçoit, en outre, que cette omission accroît d’une manière injuste le produit imposable. Mais, quel que soit en réalité le sens de la loi, le fisc a préféré, en opérant le cadastre, celui qui était irrationnel ; il a voulu que le revenu imposable de la terre fût, non pas le fermage, ou l’équivalent du fermage, quand elle n’est pas louée, mais tout ce qu’elle produisait au cultivateur, déduction faite des prélèvements relatés plus haut. Il est résulté de cette anomalie que des propriétaires ont été portés sur les registres cadastraux pour une somme supérieure à leur revenu réel, ressortant de baux authentiques et non suspects de fraude, ils ont réclamé ; mais le fisc, juge dans sa propre cause, n’a pas tenu compte de leurs réclamations. Et voilà comme en France, où l’on se dispute et souvent l’on s’égorge pour des questions de pure forme, il arrive que les intérêts les plus positifs et les plus sérieux sont compromis sans exciter l’attention de personne. Cependant la loi du Ier décembre 1790 avait posé en principe, et avec raison, que le prix moyen du fermage était l’indice du véritable produit net, le seul imposable, puisque tout le surplus ne représente