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buable se sauvait par les fausses déclarations. L’ignorance d’une part et la mauvaise foi de l’autre entretenaient les ténèbres, surtout dans les pays de petite culture. — Dans ceux de grande culture, on a toujours été plus éclairé, puisqu’il a fallu que les conditions des baux y fussent débattues entre les propriétaires et les fermiers, qui n’arrivaient eux-mêmes au résultat (lue par une foule de tâtonnements. Cependant, en prenant quelques précautions répressives des contre-lettres, on peut, lorsqu’il y a des baux, les regarder comme un bon élément pour la connaissance du produit net.

Mais par la suite la science de l’estimation des biens-fonds, si nécessaire au gouvernement et aux citoyens, fera des progrès ; et l’on peut espérer qu’un jour on arrivera au point de répartir les impositions avec une équité si claire qu’elle sera reconnue de tout le monde, et que les grandes erreurs ainsi que les grands abus deviendront impossibles.

LIII. Les propriétaires de fiefs de chacun desdits quatre arrondissements, ou leurs fondés de procuration, s’assembleront au chef-lieu

    que les profits du capital, le salaire du travail, et les autres frais de production. On peut voir, dans le chapitre XXIII d’un ouvrage intitulé De l’administration des finances en 1817 (par J.-B.-E. Poussielgue, inspecteur général des finances), comment les financiers combattent cette doctrine.

    Vers 1664, et du temps de Colbert, l’on avait procédé encore plus merveilleusement. Quelques essais de cadastre ayant été tentés, l’opération fut si bien conduite, que l’impôt de beaucoup de terres excéda leur produit. Les propriétaires voulurent alors, ce qui était fort naturel, les abandonner à l’État ; mais le ministre fit rendre un édit qui déclarait que cet abandon entraînerait la cession de toutes leurs autres propriétés. Des villages entiers laissèrent leurs terres en friche, et bientôt l’on fut contraint, non-seulement d’annuler les opérations cadastrales, mais d’accorder des gratifications pour la reprise de la culture. (Voyez Voltaire, Siècle de Louis XIV chapitre XXX.)

    Du reste, la logique fiscale n’a pas perdu, même de nos jours, ce caractère d’excentricité qui lui est propre, et en voici deux exemples entre mille.

    Aux yeux de la raison et de la loi (article 531 du Code ci il), les bacs et bateaux de toute nature sont meubles ; mais aux yeux du fisc, les bacs, et bateaux qui servent de bacs, sont tout à la fois meubles et immeubles c meubles pour qu’ils ne puissent échapper à l’impôt indirect, comme voitures d’eau, et immeubles pour que la contribution foncière leur soit applicable (loi de finances du 2 juillet 1836).

    L’on sait qu’à l’ouverture de toute succession, le Trésor prélève sur les biens du défunt une part déterminée par des tarifs légaux et proportionnels. Nous passons cette taxe au fisc, car elle en vaut une autre ; mais qui pourrait lui passer ce raisonnement ? « Votre auteur a laissé 100,000 francs de biens ; il est vrai qu’il avait 60,000 francs de dettes : n’importe, je ne déduis pas le passif de l’actif, et vous me payerez mon tant pour cent et sur la valeur qui vous profite, et sur celle qui ne vous profite pas. »

    Il n’est pas sans exemple que, par suite de ce système, des particuliers aient moins gagné que perdu à recueillir une succession. Ces cas sont extraordinaires, sans doute ; mais l’inégalité dans la répartition de l’impôt ne l’est pas, et l’on conçoit qu’elle découle, de toute nécessité, de la pratique fiscale qu’on vient de décrire. (E. D.)