Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/674

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Les propriétaires, qui ne font des avances que parce qu’ils ne peuvent faire autrement, et qui sont eux-mêmes peu riches, les bornent au plus strict nécessaire : aussi n’y a-t-il aucune comparaison à faire entre les avances d’un propriétaire pour la culture de son domaine dans un pays de petite culture, et celles que font les fermiers dans les pays de grande culture. C’est cette épargne forcée sur les avances de la culture qui fait que, dans tous les pays de petite culture, on ne laboure point avec des chevaux : ce n’est pas seulement parce que l’achat des chevaux est plus cher, et parce que l’on n’a pas la ressource, lorsqu’ils deviennent vieux, de les engraisser pour les revendre à profit ; c’est surtout parce que le bœuf ne coûte presque rien à nourrir ; c’est parce qu’il se contente de l’herbe qu’il trouve dans les landes et dans ce qu’on appelle des patureaux.

On laisse en friche une partie de son fonds pour pouvoir cultiver l’autre. Ce sacrifice tient lieu des avances qu’on n’est pas en état de faire ; mais cette épargne est une perte immense sur l’étendue des terres cultivées, et sur les revenus des propriétaires et de l’État.

Une conséquence qui résulte de ce système de culture est que, dans la totalité des produits que le propriétaire retire annuellement de son domaine, sont confondus les intérêts légitimes de ses avances. Cependant, ces intérêts ne doivent et ne peuvent jamais être considérés comme le revenu de la terre, car ce capital, employé à tout autre usage, eût produit le même intérêt. Dans les pays de grande culture, un fermier qui fait les avances en retire l’intérêt avec profit, et tout ce qui rentre au fermier est absolument étranger au revenu du propriétaire. On doit donc le déduire dans l’évaluation du revenu de la terre, lorsque le propriétaire fait les avances. Cette réflexion aura son application dans la suite.

Je ferai encore une autre observation importante sur l’effet qu’a dû produire, relativement à la culture, dans ces deux systèmes différents, l’établissement de la taille et des autres impositions auxquelles les cultivateurs sont assujettis.

Dans les pays de grande culture, le fermier, en passant son bail, sait que la taille est à sa charge, et il a fait son calcul en conséquence. Il faut que ses fonds lui rentrent avec le profit raisonnable qu’il doit attendre de ses avances et de ses soins. Il donnerait le surplus au propriétaire, s’il n’y avait point d’impôt ; il lui est indifférent de le donner au roi. Ainsi l’impôt, quand il est réglé et constant, et quand