Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/676

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Les choses se sont passées différemment dans les provinces de petite culture.

L’usage de partager les fruits par moitié entre le propriétaire et le cultivateur est d’une antiquité beaucoup plus reculée que l’établissement des tailles. Quand tous les monuments anciens ne le prouveraient pas, le seul nom de métayer, ou colon à moitié fruit, l’indiquerait suffisamment. Ce partage des fruits à moitié pouvait procurer alors aux paysans un sort assez heureux ; leur aisance devait tourner au profit de la culture et, par conséquent, du revenu. Si cet état eût duré, les métayers se seraient peu à peu assez enrichis pour se procurer eux-mêmes un capital en bestiaux ; alors, ils auraient pu faire avec le propriétaire un forfait pour avoir la totalité des fruits. Celui-ci aurait préféré cet arrangement, qui lui aurait procuré la jouissance de son revenu sans aucun soin. Il y a tout lieu de penser que l’usage d’affermer les terres ne s’est pas établi autrement, et que dans les provinces où la grande culture fleurit aujourd’hui, c’est ainsi qu’elle s’est peu à peu substituée à la petite, qui sans doute était universelle autrefois, puisque la grande suppose une masse de capitaux, et que les capitaux n’ont pu s’accumuler qu’avec le temps.

Si, dès la première origine, l’impôt eût été demandé aux propriétaires, ce progrès naturel des choses n’eût point été dérangé ; mais la taille n’ayant été d’abord qu’une espèce de capitation personnelle assez légère, et tous les nobles en étant exempts, lorsque l’augmentation obligea de la répartir à proportion des facultés des taillables, on taxa ceux qui exploitaient des terres à raison de leurs exploitations. C’était un moyen d’éluder le privilège de la noblesse. Tant que l’imposition fut modérée, le métayer y satisfit en prenant un peu sur son aisance ; mais, l’impôt ayant toujours augmenté, cette part du cultivateur a si fort diminué, qu’à la fin il s’est trouvé réduit à la plus profonde misère.

Cette misère était d’autant plus inévitable, qu’aucune des causes qui ont empêché l’appauvrissement des fermiers par les impôts, dans les pays de grande culture, n’a pu influer sur le sort des métayers de la petite : l’augmentation de la valeur numéraire du marc d’argent leur a été entièrement indifférente, puisqu’ils ne stipulaient point en argent avec le propriétaire, et qu’ils partageaient avec lui les fruits de la terre en nature.