Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/677

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La diminution de l’intérêt de l’argent n’a pu produire aucun effet dans ces provinces. Son effet immédiat est de conserver à l’agriculture des fonds que de trop grands profits détourneraient ailleurs. Mais les métayers de la petite culture ne sont pas exposés à une pareille tentation ; le bas intérêt de l’argent ne peut conserver à l’agriculture des capitaux qui n’existent point : ces cultivateurs ne possèdent même pas assez pour pouvoir emprunter, et ils ne peuvent, à aucun égard, profiter de l’abaissement de l’intérêt.

Enfin, la même cause qui augmentait les débouchés et la consommation dans les provinces voisines de la mer et de la capitale, les diminuait dans les provinces de l’intérieur ; puisque cette cause n’était autre que l’augmentation des dépenses du gouvernement, et le transport de celles des propriétaires qui, se réunissant de tous côtés dans la capitale, allaient y dépenser le revenu qu’ils dépensaient autrefois chez eux, et en diminuaient par là même la source.

Ces réflexions peuvent expliquer comment il est possible que les cultivateurs soient plongés dans l’excès de misère où ils sont aujourd’hui en Limousin et en Angoumois, et peut-être dans d’autres provinces de petite culture. Cette misère est telle que, dans la plupart des domaines, les cultivateurs n’ont pas, toute déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de 25 à 30 livres à dépenser par an pour chaque personne (je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté) : souvent ils ont moins, et lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer.

Quelques propriétaires ont bien été, à la fin, forcés de s’apercevoir que leur prétendu privilège leur était beaucoup plus nuisible qu’utile, et qu’un impôt, qui avait entièrement ruiné leurs cultivateurs, était retombé en entier sur eux ; mais cette illusion de l’intérêt mal entendu, appuyée par la vanité, s’est soutenue longtemps, et ne s’est dissipée que lorsque les choses ont été portées à un tel excès, que les propriétaires n’auraient trouvé personne pour cultiver leurs terres, s’ils n’avaient consenti à contribuer avec leurs métayers au payement d’une portion de l’impôt. Cet usage a commencé à s’introduire dans quelques parties du Limousin, mais il n’est pas encore fort étendu ; le propriétaire ne s’y prête qu’autant qu’il ne peut trouver de métayer autrement. Ainsi, même dans ce cas-là, le mé-