Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/678

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tayer est toujours réduit à ce qu’il faut précisément pour ne pas mourir de faim.

Je sais que les provinces de petite culture ne sont pas toutes réduites à ce dernier degré de la misère : le plus ou le moins de proximité des débouchés, les rentes plus ou moins fortes dont les terres sont chargées envers les seigneurs, le plus ou le moins d’impositions que supportent les différentes provinces ; enfin, une foule de circonstances, ont dû mettre une très-grande inégalité entre les différentes provinces où règne la petite culture, et dans la multitude de nuances dont elle est susceptible. Il doit s’en trouver qui se rapprochent presque entièrement des produits de la grande culture ; comme, dans les dégradations de la grande culture, on doit trouver des exploitations presque aussi mauvaises que celles de la petite culture. Des fermiers exploitants qui, au lieu d’une part des fruits, donneraient au propriétaire un loyer fixe, mais qui ne fourniraient ni les bestiaux, ni les outils aratoires, formeraient une culture mitoyenne entre la grande et la petite. Il y a de ces sortes de fermiers dans toutes les provinces, et même dans les plus pauvres de celles qui sont condamnées à la petite culture. Quelques paysans plus intelligents, et qui savent tirer meilleur parti des terres que le commun des métayers, consentent quelquefois à les affermer, et l’on en voit plusieurs exemples dans toutes les parties de ma généralité, quoiqu’ils y soient peut-être moins fréquents qu’ailleurs. — Il ne faut pas confondre non plus ces fermiers exploitants, avec les fermiers qui afferment de la plupart des seigneurs la totalité de leurs terres. Ces derniers perçoivent les rentes des tenanciers, font les comptes avec les métayers, courent les risques de perte et de gain, et rendent une somme fixe au propriétaire[1] ; mais ils ne sont point laboureurs, et ne font rien valoir par eux-mêmes.

  1. En Irlande les choses se passent encore de cette manière, avec la différence, toutefois, qu’entre l’exploitant et le propriétaire du sol il se trouve deux intermédiaires au lieu d’un. Tout le domaine d’un lord a pour preneur direct un riche spéculateur qui le partage, en lots d’une certaine étendue, entre des spéculateurs secondaires qu’on nomme midlemen ; et c’est des mains de ces sous-fermiers avides que la terre arrive, par lambeaux, entre celles des malheureux paysans qui la mettent en valeur, ou plutôt qui lui arrachent tout juste la quantité de subsistance dont ils ont besoin pour ne pas mourir de faim. Peut-être ne tardera-t-on pas à importer ce déplorable système en France, car il y a partout tendance manifeste au démembrement des grandes fermes, et l’on a déjà vu plus d’un riche propriétaire ne pas se contenter de morceler le sol par petits lots, mais pousser encore