Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/72

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qu’il fut question du renvoi de de Boynes, l’abbé parla de son ami à la comtesse avec tant de chaleur, que celle-ci pressa vivement le premier ministre d’appeler à la marine l’intendant de Limoges. Maurepas, qui savait le candidat présenté par sa femme sans aucun appui à la cour, qui était loin de soupçonner la noblesse et la fermeté de son caractère, qui croyait en outre se concilier par là le parti des gens de lettres dont il ambitionnait les suffrages, quoiqu’il n’eût aucun goût pour leurs idées de réformes, ne souleva pas d’objections contre ce projet, et laissa la France profiter ainsi du hasard providentiel qui portait Turgot au pouvoir.

Avant d’exposer l’usage que devait en faire ce philosophe qui méditait depuis un quart de siècle sur l’organisation politique, économique et morale des sociétés, jetons un coup d’œil sur le tableau que la nôtre avait offert pendant tout le règne de Louis XV.

Dans l’ordre politique, nul progrès n’avait eu lieu depuis le règne précédent. Loin de là, la France était abaissée au dehors ; et au dedans l’autorité royale, puissante sous Louis XIV, s’était affaiblie et dégradée entre les mains de son successeur. Elle ne comptait plus, il est vrai, avec la noblesse, depuis que cette dernière avait échangé sa redoutable indépendance contre la livrée, les faveurs et les plaisirs de la cour ; mais il n’en était pas de même à l’égard du clergé et du Parlement, qui avaient reconquis et se disputaient une influence funeste sur les affaires de l’État. Le premier de ces deux corps, sous prétexte de défendre la religion, troublait sans cesse l’ordre public par des scènes de fanatisme atroces ou ridicules ; le second, sous prétexte de sauvegarder les intérêts du peuple, ne savait que protéger les abus et s’opposer à toutes les réformes utiles que le pouvoir, cédant à la nécessité, tentait d’accomplir[1]. Alors, ce même pouvoir, faible parce qu’il

  1. Il suffira sans doute, pour justifier ces inculpations, de citer les faits suivants :

    Les querelles suscitées par la bulle Unigenitus durèrent depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1762, époque de la destruction des jésuites.

    La folie des convulsions, qui datait de 1727, n’avait pas cessé en 1759.