Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/736

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qui avoisine le Limousin et le Rouergue, ont été presque entièrement privées de toute récolte ; que la misère y a été et y est encore portée au dernier excès, et qu’il ne peut y parvenir de grains du dehors qu’à des prix au-dessus de toute proportion avec les facultés non-seulement des simples ouvriers, mais encore d’un très-grand nombre de propriétaires, privés de leur revenu par le défaut de récolte. Le malheur des habitants de la montagne du Limousin est d’autant plus complet, que, privés de leur récolte en seigle, ils sont dénués de toute autre ressource. Les châtaignes, qui dans le reste du Limousin ont été un peu plus abondantes qu’on ne s’en était flatté d’abord, et qui ont beaucoup adouci le sort des habitants de la campagne, sont inconnues dans la montagne, dont la température est trop froide pour cette production. L’avoine, qui, mise en gruau, fait une partie de la nourriture des peuples de ce canton, n’a pu être recueillie, l’abondance des pluies l’ayant fait pourrir sur la terre.

Cette différence entre la détresse de ce petit nombre de provinces et le reste du royaume est, monsieur, une observation essentielle sur laquelle je dois appuyer auprès de vous. J’avais cru, dans mon Avis sur le moins-imposé, vous avoir mis sous les yeux les motifs les plus forts et les plus péremptoires pour vous déterminer à accorder au Limousin un traitement extraordinaire et proportionné à des malheurs extraordinaires. Cependant, je vois qu’il a été traité moins favorablement que dans des années où il n’avait éprouvé que des malheurs communs : le moins-imposé, je parle du vrai moins-imposé au profit des contribuables, est de 60,000 francs moins fort qu’en 1769, et de 20,000 francs moins fort qu’il n’avait été fixé pour 1770, avant que la disette se fût développée. C’est donc une augmentation réelle d’impôt sur 1769 et même sur 1770. Je conviens qu’outre la diminution accordée sur les impositions, il a été destiné une somme de 80,000 livres pour l’établissement d’ateliers publics qui facilitent aux pauvres les moyens de subsister. Mais cette grâce, dont je sens tout l’avantage, ne rend pas la charge des propriétaires moins forte. D’ailleurs, je vois, par ce qui se passe dans les généralités, que le Limousin n’a pas été traité beaucoup plus favorablement que les autres provinces : toutes ont eu leur part à ce bienfait du roi, vraisemblablement à proportion de leur étendue. J’en juge par la généralité de Bordeaux, dans laquelle j’ai lieu de croire que les fonds accordés pour cet objet sont beaucoup plus con-