Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/744

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ques articles principaux, en observant que la continuité des mêmes malheurs sur la province ajoute prodigieusement à la force des considérations que nous exposions, et qui n’étaient déjà que trop frappantes. Si les circonstances où se trouvait alors le royaume, menacé d’une guerre étrangère, n’ont pas permis d’avoir, à des demandes appuyées de tant de preuves, tout l’égard qu’elles méritaient, c’est un nouveau poids qu’elles ont acquis, et qui sollicite d’autant plus impérieusement la bienfaisance de Sa Majesté.

Nous insistons fortement sur un calcul[1], dans lequel, en mettant tout au plus bas, nous prouvions que, pendant la disette de 1770, il était sorti de la province, pour la nourriture des habitants, au moins 3,600,000 liv., réduits à un peu plus de 3 millions, en déduisant les soulagements extraordinaires que le roi avait eu la bonté d’accorder à la province, soit en augmentations de moins-imposé, soit en avances pour les approvisionnements et les travaux publics. Nous osons répéter que cette considération mérite toute l’attention du Conseil. Il est évident que les contribuables ne peuvent payer les impositions qu’avec de l’argent, et que par conséquent ce vide, dans la somme qui circulait pour les besoins et le commerce intérieur de la province, doit les mettre dans l’impossibilité d’y satisfaire. Il n’est pas moins évident que la province, dont le commerce dans aucun genre n’a pu augmenter, n’a eu aucun moyen de faire rentrer cet argent. Ce vide, bien loin d’être diminué, n’a pu que s’accroître beaucoup par la disette de 1771. À la vérité, cette dernière disette n’a pas été aussi générale, mais il n’en est pas moins vrai que le Limousin n’a pu subsister que par une importation considérable de grains de toute espèce qu’ont fournis les provinces voisines. Si l’on suppose que cette importation ait été le tiers de celle de 1770, le vide, au lieu d’être de 3 millions, sera donc de 4, et l’on doit s’attendre qu’il augmentera beaucoup plus en 1772, puisque le défaut de récolte est plus général.

Une autre considération, j’ose le dire, effrayante par elle-même, et encore plus quand on la rapproche du vide dans la masse d’argent dont nous venons de parler, c’est l’immensité des sommes dont la province est arréragée sur ses recouvrements ; et nous ne voulons point parler ici de ce retard ancien et immémorial, en conséquence duquel l’imposition assise chaque année n’est jamais sol-

  1. Voyez plus haut, page 595 et suivantes de ce volume.