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que le moins-imposé que le roi a bien voulu accorder l’année dernière, et qui était de 270,000 liv., serait infiniment au-dessous de ce que les besoins de la province exigent. Quelque fortes que puissent être nos demandes, nous osons dire qu’elles seraient toujours trop faibles ; et la province ne peut que s’abandonner aux bontés du roi.


LETTRE À M. D’ORMESSON, ACCOMPAGNANT L’AVIS PRÉCÉDENT.
Le 14 octobre 1772.

Monsieur, j’ai l’honneur de vous adresser directement les états de récoltes de cette année, avec mon Avis sur les impositions.

Permettez-moi de recommander encore de nouveau cette province à vos bontés. M. le contrôleur-général trouvera peut-être que je ne cesse de me plaindre ; cependant, quelque fortes que soient les expressions par lesquelles je lui peins la situation de cette province, j’ose vous assurer qu’elles sont encore au-dessous de la réalité. Les espérances qu’on avait conçues par le succès des semailles de l’automne dernier ont été détruites par les gelées du 12 mai et par les brouillards qui ont accompagné la fleur des froments. Il est très-vrai que la récolte des jardins n’est pas meilleure que l’année dernière et n’est guère différente de celle de 1769. Le peuple vivra cependant ; mais les propriétaires n’auront que très-peu de revenu, à l’exception de ceux des pays de vignobles. Les autres parties auront besoin des plus grands soulagements.

J’insiste de nouveau dans mon Avis sur la surcharge ancienne de la province et sur l’énormité des arrérages dont elle est débitrice envers le roi. Ces arrérages augmentent chaque année, et il devient chaque année plus pressant d’en arrêter les progrès par le seul moyen qui puisse être efficace, c’est-à-dire par une forte, et très-forte diminution sur la masse des impositions. J’ose vous répéter que, pour que cette diminution ait quelque effet sensible, il faut qu’elle soit pour ainsi dire hors de toute mesure. Le compte qu’a dû vous rendre le sieur de Rousey de sa mission doit vous en faire sentir la nécessité. À quoi sert-il de demander à des malheureux ce qu’ils sont dans l’impuissance absolue de payer ? Et, s’ils peuvent payer quelque chose, ne vaut-il pas mieux que ce soit sur les anciens arrérages dont ils sont accablés, plutôt que sur de nouvelles impositions ?