Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/78

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valent à leur profit sur les routes, les fleuves, les rivières, les canaux, quoique tous ces droits, plus profitables à ceux qui les affermaient qu’à leurs propriétaires mêmes, n’eussent pas une origine différente. Le régime économique du temps de Louis XIV, en un mot, subsistait encore avec tous ses abus.

Dans l’ordre moral enfin, le tableau que présente cette époque n’est ni moins triste, ni moins bizarre.

L’établissement du Parc-aux-Cerfs et l’installation d’une prostituée dans la demeure royale avaient fait pâlir les orgies de la régence. L’exemple, parti du trône, se réfléchissait dans les mœurs de la cour, dans celles de la haute société, dans la littérature et dans les arts. L’État se serait dissous infailliblement, s’il avait été possible que la masse du peuple fût atteinte par la corruption et l’égoïsme qui se manifestaient de toutes parts dans les couches supérieures de la société.

En effet, si le clergé gémissait avec amertume sur ces désordres, beaucoup de ses membres n’en étaient pas moins au nombre de ceux qui donnaient les plus grands scandales. De ses hauts dignitaires, les uns avaient perdu la foi, et ils étaient dévorés par l’ambition ou l’amour des plaisirs ; les autres s’étaient conservés purs, mais ils manquaient de lumières, et subissaient toutes les suggestions antisociales du fanatisme ultramontain[1]. Comme corps, tous avaient retenu des préjugés contraires au bien public. Confondant les intérêts de la religion avec leurs intérêts temporels, ils ne voulaient point séparer l’Église de l’État, et s’y regardaient comme un ordre nécessaire, qui devait toujours y jouer le premier rôle, y occuper le premier rang. Par suite, ils persistaient à tenir l’esprit humain en lisière, à repousser la tolérance civile, à garder intacts tous leurs privilèges, et celui surtout de ne pas contribuer aux charges publiques dans la même proportion que les autres citoyens. Il faut avouer que de telles disposi-

  1. On partageait les évêques en deux classes : les évêques administrateurs de provinces, et les évêques administrateurs de sacrements. Les premiers cherchaient à acquérir de l’importance, dans les pays d’États, pour se frayer un chemin au ministère.