Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/83

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domaine de l’une et de l’autre. Sous le premier rapport, il projetait l’émancipation du travail au dedans et la liberté du commerce au dehors ; sous le second, une constitution politique qui prévînt le despotisme autant que l’anarchie, et un système d’éducation générale propre à former des hommes instruits de leurs droits et de leurs devoirs, de véritables citoyens.

« La cause du mal, » expliqua-t-il plus tard à Louis XVI, dans le Mémoire sur les municipalités[1], développement des idées précédentes, « vient de ce que votre nation n’a point de constitution. C’est une société composée de différents ordres mal unis et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très-peu de liens sociaux ; où par conséquent chacun n’est guère occupé que de son intérêt particulier exclusif, presque personne ne s’embarrasse de remplir ses devoirs ni de connaître ses rapports avec les autres ; de sorte que, dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d’entreprises, que la raison et les lumières réciproques n’ont jamais réglées, Votre Majesté est obligée de tout décider par elle-même ou par ses mandataires. On attend vos ordres spéciaux pour contribuer au bien public, pour respecter les droits d’autrui, quelquefois même pour user des siens propres. Vous êtes forcé de statuer sur tout, et le plus souvent par des volontés particulières, tandis que vous pourriez gouverner comme Dieu par des lois générales, si les parties intégrantes de votre empire avaient une organisation régulière et des rapports connus. »

Partisan de l’unité du pouvoir, en ce sens qu’il éprouvait peu de sympathie pour l’organisation fédérative ou représentative[2], mais adversaire de la centralisation qui tend à priver les communes, les arrondissements, les provinces, du droit de régler les intérêts qui leur sont propres, Turgot avait imaginé un système mixte, consistant dans un réseau hiérarchi-

  1. Voyez tome II, page 502. — Ce Mémoire, qui n’est pas écrit par Turgot lui-même, paraît avoir été rédige sur les notes du ministre par Dupont de Nemours.
  2. Voyez la Lettre au docteur Price sur les constitutions américaines, ibid, page 805.