Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/182

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agents peuvent, par défaut d’habileté, ou même par infidélité, grossir à l’excès la dépense de leurs opérations. Ils peuvent se permettre des manœuvres coupables à l’insu du gouvernement. Lors même qu’ils en sont le plus innocents, ils ne peuvent éviter d’en être soupçonnés, et le soupçon rejaillit toujours sur l’administration qui les emploie, et qui devient odieuse au peuple, par les soins mêmes qu’elle prend pour le secourir.

De plus, quand le gouvernement se charge de pourvoir à la subsistance des peuples en faisant le commerce des grains, il fait seul ce commerce, parce que, pouvant vendre à perte, aucun négociant ne peut sans témérité s’exposer à sa concurrence. Dès lors l’administration est seule chargée de remplir le vide des récoltes. Elle ne le peut qu’en y consacrant des sommes immenses, sur lesquelles elle fait des pertes inévitables.

L’intérêt de ses avances, le montant de ses pertes, forment une augmentation de charges pour l’État, et par conséquent pour les peuples, et deviennent un obstacle aux secours bien plus justes et plus efficaces que le roi, dans les temps de disette, pourrait répandre sur la classe indigente de ses sujets.

Enfin, si les opérations du gouvernement sont mal combinées et manquent leur effet ; si elles sont trop lentes, et si les secours n’arrivent point à temps ; si le vide des récoltes est tel, que les sommes destinées à cet objet par l’administration soient insuffisantes, le peuple, dénué des ressources que le commerce réduit à l’inaction ne peut plus lui apporter, reste abandonné aux horreurs de la famine et à tous les excès du désespoir.

Le seul motif qui ait pu déterminer les administrateurs à préférer ces mesures dangereuses aux ressources naturelles du commerce libre, a sans doute été la persuasion que le gouvernement se rendrait par là maître du prix des subsistances, et pourrait, en tenant les grains à bon marché, soulager le peuple et prévenir ses murmures.

L’illusion de ce système est cependant aisée à reconnaître. Se charger de tenir les grains à bon marché lorsqu’une mauvaise récolte les a rendus rares, c’est promettre au peuple une chose impossible, et se rendre responsable à ses yeux d’un mauvais succès inévitable.

Il est impossible que la récolte d’une année, dans un lieu déterminé, ne soit pas quelquefois au-dessous du besoin des habitants, puisqu’il n’est que trop notoire qu’il y a des récoltes fort inférieures