Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/184

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Les sacrifices faits par l’administration pour procurer ce bas prix momentané, sont une aumône faite aux riches au moins autant qu’aux pauvres, puisque les personnes aisées consomment, soit par elles-mêmes, soit par la dépense de leurs maisons, une très-grande quantité de grains.

La cupidité sait s’approprier ce que le gouvernement a voulu perdre, en achetant au-dessous de son véritable prix une denrée sur laquelle le renchérissement, qu’elle prévoit avec une certitude infaillible, lui promet des profits considérables.

Un grand nombre de personnes, par la crainte de manquer, achètent beaucoup au delà de leurs besoins, et forment ainsi une multitude d’amas particuliers de grains qu’elles n’osent consommer, qui sont entièrement perdus pour la subsistance des peuples, et qu’on retrouve quelquefois gâtés après le retour de l’abondance.

Pendant ce temps, les grains du dehors, qui ne peuvent venir qu’autant qu’il y a du profit à les apporter, ne viennent point. Le vide augmente par la consommation journalière ; les approvisionnements, par lesquels on avait cru soutenir le bas prix, s’épuisent ; le besoin se montre tout à coup dans toute son étendue, et lorsque le temps et les moyens manquent pour y remédier.

C’est alors que les administrateurs, égarés par une inquiétude qui augmente encore celle des peuples, se livrent à des recherches effrayantes dans les maisons des citoyens, se permettent d’attenter à la liberté, à la propriété, à l’honneur des commerçants, des laboureurs, de tous ceux qu’ils soupçonnent de posséder des grains. Le commerce vexé, outragé, dénoncé à la haine du peuple, fuit de plus en plus ; la terreur monte à son comble ; le renchérissement n’a plus de bornes, et toutes les mesures de l’administration sont rompues.

Le gouvernement ne peut donc se réserver le transport et la garde des grains sans compromettre la subsistance et la tranquillité des peuples. C’est par le commerce seul, et par le commerce libre, que l’inégalité des récoltes peut être corrigée.

Le roi doit donc à ses peuples d’honorer, de protéger, d’encourager d’une manière spéciale le commerce des grains, comme le plus nécessaire de tous.

Sa Majesté ayant examiné sous ce point de vue les règlements auxquels ce commerce a été assujetti, et qui, après avoir été abrogés