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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/205

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L’abondance passagère d’un moment, obtenue par de tels moyens, serait le présage certain d’une disette prochaine, et qu’on tenterait alors en vain d’éviter.

Ce sont ces vérités qu’il est nécessaire que les curés fassent comprendre aux peuples pour leur propre intérêt : le pillage amène les maux que feignent de craindre ceux qui l’inspirent et le conseillent, et un petit nombre de gens malintentionnés profitent du désordre, tandis que ceux qu’ils ont séduits en demeurent les victimes.

Des pasteurs n’ont pas besoin d’être avertis de faire remarquer aux peuples que toute usurpation de la denrée, même en la payant, lorsque c’est à un prix inférieur à Sa valeur, est un vol véritable, réprouvé par les lois divines et humaines, que nulle excuse ne peut colorer, que nul prétexte ne peut dispenser de restituer en entier au véritable maître de la chose usurpée. Ils feront sentir, à ceux qui pourraient être dans l’illusion, que le prix des blés ne peut malheureusement être proportionné qu’à la plus ou moins grande abondance des récoltes ; que la sagesse du gouvernement peut rendre les chertés moins rigoureuses, en facilitant l’importation des blés étrangers, en procurant la libre circulation des blés nationaux, en mettant, par la facilité du transport et des ventes, la subsistance plus près du besoin, en donnant aux malheureux, en multipliant pour eux toutes les ressources d’une charité industrieuse ; mais que toutes ces précautions, qui n’ont jamais été prises plus abondamment que depuis le règne de Sa Majesté, ne peuvent empêcher qu’il n’y ait des chertés ; qu’elles sont aussi inévitables que les grêles, les intempéries, les temps pluvieux ou trop secs qui les produisent ; que la crainte et la méfiance des peuples contribuent à les augmenter, et qu’elles deviendraient excessives, si, le commerce se trouvant arrêté par les émeutes, les communications devenant difficiles, les laboureurs étant découragés, la denrée ne pouvait plus être apportée à ceux qui la consomment.

Il n’est point de bien que Sa Majesté ne soit dans l’intention de procurer à ses sujets : si tous les soulagements ne peuvent leur être accordés en même temps, s’il est des maux qui, comme la cherté, suite nécessaire des mauvaises récoltes, ne sont pas soumis au pouvoir du roi, Sa Majesté en est aussi affectée que ses peuples ; mais quelle défiance ne doivent-ils pas avoir de ces hommes malintentionnés, qui, pour les émouvoir, se plaisent à exagérer leur mal-