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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/263

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duit l’usage des corvées ; il est plus ancien que lui pour la confection des chemins. Je crois qu’il date des dernières années de Louis XIV, et qu’on en a d’abord fait usage dans des provinces où les circonstances de la guerre, exigeant qu’on rendît promptement les chemins praticables pour faciliter le transport des munitions, on se servit du moyen de commander les paysans des environs, parce qu’on n’avait pas le temps de chercher des entrepreneurs ni de monter des ateliers, et plus encore parce qu’on manquait d’argent. Dans la suite, les intendants de ces provinces ayant voulu réparer d’une manière plus durable quelques chemins jugés nécessaires, usèrent de ce moyen, qu’ils avaient trouvé commode, et qu’ils imaginèrent ne rien coûter. Après avoir fait quelques chemins, on en fit d’autres. L’exemple des premiers intendants fut suivi par leurs voisins. Les contrôleurs-généraux l’autorisèrent ; mais il ne fut véritablement établi que par l’instruction envoyée en 1737 aux intendants par M. Orry[1], et ce ne fut pas, à beaucoup près, sans murmures de la part des peuples, et sans répugnance de la part d’un grand nombre d’administrateurs.

Suite des observations du garde des sceaux. — L’on ne peut disconvenir que les travaux que l’on exige des corvéables, déjà assez malheureux par le payement de la taille et autres impositions qui viennent à la suite de celles-ci, et auxquelles elle sert pour ainsi dire de tarif, sont un surcroît de charge véritablement onéreux, et qui le devient encore davantage par tous les défauts de l’administration, qui sont très-bien exposés dans le préambule du projet d’édit, et qu’il est inutile de rapporter ici.

Il est impossible de présumer que M. Orry, qui a été longtemps contrôleur-général des finances sous le règne de Louis XV, et M. Trudaine le père lui-même n’aient pas senti comme nous tous les inconvénients qui en résultent. Il n’est guère plus possible de penser qu’ils n’aient pas imaginé que la voie d’une imposition particulière pour cet objet paraîtrait la plus simple, et qu’ils n’aient pas songé qu’il semblait plus juste et plus facile de faire partager ce fardeau aux propriétaires, et même de le leur faire supporter entièrement.

Réponse de Turgot. — Je crois que M. Orry, qui peut-être dans la généralité où il avait servi, n’avait pas eu beaucoup occasion d’employer les corvées, n’en a pas connu tous les inconvénients que l’expérience n’a que trop fait connaître depuis.

Quant à M. Trudaine, il s’en faut beaucoup qu’il ne les connût pas, et je l’ai vu souvent désirer qu’on pût affranchir les peuples de ce fardeau. Il s’est souvent expliqué avec moi sur le véritable

  1. Contrôleur-général de 1730 à 1745.