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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/266

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pôts retombaient sur les propriétaires des terres, ou en augmentation de dépense ou en diminution de revenu. Il avait cela de commun avec toutes les personnes qui ont réfléchi sur la nature et les effets de l’impôt ; mais de ce que le propriétaire ressent le coup de la ruine de son fermier, il ne s’ensuit pas que ce fermier ne soit encore plus malheureux que son maître lui-même. Quand un cheval de poste tombe excédé de fatigue, le cavalier tombe aussi, mais le cheval est encore plus à plaindre.

Les propriétaires font vivre par leur dépense les hommes qui n’ont que leurs bras ; mais les propriétaires jouissent pour leur argent de toutes les commodités de la vie. Le journalier travaille et achète, à force de sueurs, la plus étroite subsistance. Mais quand on le force de travailler pour rien, on lui ôte même la ressource de subsister de son travail par la dépense du riche.

Suite des observations du garde des sceaux. — Les propriétaires ne profitent pas seuls de l’avantage des grandes routes bien entretenues. Les voyageurs, les rouliers et les paysans même qui vont à pied, en profitent également : les voyageurs font plus de chemin en moins de temps et à moins de frais, et les rouliers fatiguent moins leurs chevaux, usent moins leurs voitures et leurs équipages ; le simple paysan qui va à pied marche plus facilement dans une belle route que dans un mauvais chemin, et perd moins de temps lorsqu’il est obligé de se transporter hors de son domicile.

De là résulte que le profit des grandes routes s’étend proportionnellement à tous les sujets du roi.

Réponse de Turgot. — Les voyageurs gagnent à la beauté des chemins d’aller plus vite. La beauté des chemins attire les voyageurs, en multiplie le nombre. Ces voyageurs dépensent de l’argent, consomment les denrées du pays, ce qui tourne toujours à l’avantage des propriétaires. Quant aux rouliers, leurs frais de voiture sont payés moins cher à proportion de ce qu’ils sont moins longtemps en chemin et ménagent davantage leurs équipages et leurs chevaux. De cette diminution des frais de voiture résulte la facilité de transporter les denrées plus loin et de les vendre mieux. Ainsi tout l’avantage est pour le propriétaire des terres qui vend mieux sa denrée.

À l’égard des paysans qui vont à pied, M. le garde des sceaux me permettra de croire que le plaisir de marcher sur un chemin bien caillouté ne compense pas pour eux la peine qu’ils ont eue à le construire sans salaire.