On n’a pas cru que le Trésor de l’État, épuisé par les guerres et par les profusions de plusieurs règnes, et chargé d’une masse énorme de dettes, pût fournir à cette dépense.
On a craint de l’imposer sur les peuples, toujours trop chargés ; et on a préféré de leur demander du travail gratuit, imaginant qu’il valait mieux exiger des habitants de la campagne, pendant quelques jours, des bras qu’ils avaient, que de l’argent qu’ils n’avaient pas.
Ceux qui faisaient ce raisonnement oubliaient qu’il ne faut demander à ceux qui n’ont que des bras, ni l’argent qu’ils n’ont pas, ni les bras qui sont leur unique moyen pour nourrir eux et leur famille.
Ils oubliaient que la charge de la confection des chemins, doublée et triplée par la lenteur, la perte du temps et l’imperfection attachées au travail des corvées, est incomparablement plus onéreuse pour ces malheureux qui n’ont que des bras, que ne pouvait l’être une charge incomparablement moindre, imposée en argent sur des propriétaires plus en état de payer ; qui, par l’augmentation de leur revenu, auraient immédiatement recueilli les fruits de cette espèce d’avance, et dont la contribution, en devenant pour eux une source de richesse, eût soulagé dans l’instant ces mêmes hommes qui, n’ayant que des bras, ne vivent qu’autant que ces bras sont employés et payés. Ils oubliaient que la corvée est elle-même une imposition, et une imposition bien plus forte, bien plus inégalement répartie, bien plus accablante que celle qu’ils redoutaient d’établir.
La facilité avec laquelle les chemins ont été faits à prix d’argent dans quelques pays d’États, et le soulagement qu’ont éprouvé les peuples dans quelques-unes des généralités des pays d’élections, lorsque les administrateurs particuliers y ont substitué aux corvées une contribution en argent, ont assez fait voir combien cette contribution était préférable aux inconvénients qui suivent l’usage des corvées.
Une autre raison plus apparente a sans doute principalement influé sur le parti qu’on a pris d’adopter, pour la confection des chemins, la méthode des corvées, c’est la crainte que les besoins renaissants du Trésor royal n’engageassent, surtout en temps de guerre, à détourner de leur destination, pour les employer à des dépenses plus urgentes, les fonds imposés pour la confection des chemins ; que ces fonds, une fois détournés, ne continuassent à l’ê-