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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/510

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croyait en droit d’ôter aux protestants la liberté de conscience que leur avait solennellement assurée Henri IV, dont ils avaient cimenté la couronne de leur sang. Il les réduisait au désespoir par une continuité de vexations exercées en son nom, dont le détail fait frémir quand on lit les Mémoires du temps, et il faisait punir les fautes, où les avait entraînés ce désespoir, par les derniers supplices. Il croyait faire une action louable et pieuse : déplorable aveuglement d’un prince d’ailleurs bien intentionné, mais qui n’a pas su distinguer ses devoirs comme homme de ses droits comme prince ; qui n’a pas su que s’il devait, comme homme et comme chrétien, se soumettre avec docilité à l’Église pour régler sa conscience personnelle, il n’était point en droit d’exiger comme souverain la même docilité de ses sujets, parce qu’il ne le pouvait sans se rendre juge de leur conscience. Mais l’intérêt des prêtres de cour a toujours été de confondre ces deux choses, et d’abuser, pour fonder leur crédit et servir leurs passions, de l’ignorance des princes sur ces matières.

Ce n’est pas la seule faute qu’ils aient fait commettre en ce genre à Louis XIV. Les misérables disputes du jansénisme et du molinisme, qui ont causé la ruine de tant de particuliers, et qui ont servi de prétexte à des fermentations dangereuses pour l’autorité royale, n’ont existé que par une suite de cette manie de faire intervenir le gouvernement dans des questions dont il n’a ni intérêt ni droit de se mêler, et par la malheureuse facilité de Louis XIV à croire aveuglément des prêtres de cour et des dévots de parti.

Cette affaire du jansénisme et du molinisme est en quelque sorte une guerre civile ; les deux sectes reconnaissent également l’autorité ecclésiastique. Cette circonstance a donné un caractère particulier à la manière dont on y a fait intervenir la puissance civile. Elle doit aussi donner lieu à des observations qui lui sont spécialement propres.

Les moyens de pacifier cette querelle et toutes les autres de ce genre méritent d’être traités à part ; et si Votre Majesté me le permet, j’en ferai la matière d’un Mémoire séparé de celui-ci. Je reviens à mon sujet.

Comment la religion pourrait-elle commander aux souverains, comment leur pourrait-elle permettre d’user de leur pouvoir pour contraindre leurs sujets en matière de religion ? La religion peut-elle donc commander, peut-elle permettre des crimes ? Ordonner