à beaucoup d’inconvénients, de tumulte, de querelles ; indépendamment de ce qu’il est difficile que la raison s’y fasse entendre ; indépendamment de ce que la pauvreté des votants les rendrait faciles à corrompre, et pourrait faire acheter les places d’une manière qui avilirait la nation que Votre Majesté veut au contraire élever, améliorer, ennoblir, on voit, en y regardant mieux, qu’il n’y a de gens qui soient réellement d’une paroisse ou d’un village, que ceux qui possèdent une partie de son territoire. Les autres sont des journaliers, qui n’ont qu’un domicile de passage : ils vont faucher les foins dans un canton, scier les blés dans un autre, faire la vendange dans un troisième. Des manœuvres limousins viennent bâtir des maisons à Paris ; des Auvergnats vont ramoner les cheminées en Espagne. Dans tout le royaume, c’est parmi ceux des gens de campagne qui n’ont point de terre, que se recrutent les valets, le plus grand nombre des soldats et les petits artisans, lesquels portent leur talent avec eux où ils jugent que l’emploi leur en sera le plus profitable, et souvent chez l’étranger. Ces gens ont aujourd’hui une habitation, et demain une autre. Ils sont au service de la nation en général. Ils doivent partout jouir de la douceur des lois, de la protection de votre autorité, de la sûreté qu’elle procure ; mais ils n’appartiennent à aucun lieu. En vain voudrait-on les attacher à l’un plutôt qu’à l’autre. Mobiles comme leurs jambes, ils ne s’arrêteront jamais qu’à celui où ils se trouveront le mieux. C’est aux propriétaires de chaque canton à les attirer chez eux en raison du besoin qu’ils peuvent en avoir. L’État lui-même n’a sur eux qu’un droit moral, et une autorité de police. Il n’a pas le pouvoir physique de les retenir dans son sein. Loin de les fixer à un village, il ne peut pas même les conserver au royaume, autrement que par des bienfaits qui déterminent leur choix. Toutes les fois qu’on s’est cru réduit à défendre les émigrations d’ouvriers, on s’est trompé dans ses vues. Les lois ne peuvent l’empêcher que de gré à gré par l’appât d’un meilleur sort. Les richesses mobilières sont fugitives comme les talents ; et malheureusement celui qui ne possède point de terre ne saurait avoir de patrie que par le cœur, par l’opinion, par l’heureux préjugé de l’enfance. La nécessité ne lui en donne point. Il échappe à la contrainte ; il esquive l’impôt. Quand il paraît le payer, il le passe en compte dans la masse générale de ses dépenses, et se le fait rembourser par les propriétaires des biens-fonds qui lui fournissent ses salaires. C’est à
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