obligés de faire pour acheter aujourd’hui ce qu’ils ne vendront que dans un temps éloigné et incertain. Dans cette classe de commerçants, on a surtout distingué ceux qui commercent par mer avec les étrangers, parce que leurs gains, paraissant faits aux dépens des étrangers, ont paru être en entier un profit pour la nation. Les armements pour les colonies, et la vente des retours qu’on en apporte aux étrangers, est une des parties les plus actives et les plus brillantes du commerce de nos ports, et une des sources de la fortune de nos commerçants. Pour évaluer ce qui en revient à la nation, il faut considérer qu’une partie des retours des îles se consomme dans la nation, qu’une autre partie est vendue aux nations étrangères.
Les nations étrangères viennent ordinairement acheter ces denrées dans nos ports : ainsi nos armateurs ne gagnent rien sur les frais de transport dans les différentes parties de l’Europe ; et ce que nous gagnons sur les nations étrangères se réduit d’abord au remboursement de la valeur que nous avons payée aux colons de leurs denrées ; en second lieu, au payement des frais du transport de ces denrées des îles dans nos ports, de la solde et de l’entretien des matelots, du salaire des ouvriers constructeurs ; en troisième lieu des intérêts et profits que rapportent à l’armateur les capitaux qu’il emploie dans ses armements.
Quant à la partie des marchandises américaines consommées dans la nation, c’est de la nation même que le négociant reçoit tout ce qu’il gagne sur les frais de transport et sur l’emploi de ses capitaux ; ainsi il n’en résulte pour la nation aucun accroissement de richesses. Il est vrai que si la nation n’avait point de colonies, ou si le commerce de ces colonies était ouvert à tous les étrangers, ces étrangers auraient pu gagner une partie des frais de transport que la nation paye aujourd’hui à ses négociants, et que ce qu’elle eût payé est une richesse qu’elle épargne, si elle ne la gagne pas. Mais si les marchands nationaux font, en vertu de leur privilège exclusif, payer ce service plus cher à la nation qu’elle ne l’eût payé aux étrangers, il faut retrancher de l’épargne de la nation le gain excessif de ces négociants, puisqu’il n’eût pas été payé aux étrangers. Il faut en retrancher également ce qui eût été gagné par les nationaux, qui, en se faisant payer moins cher qu’ils ne le font aujourd’hui, auraient pu cependant faire avec avantage le commerce de nos colonies en concurrence avec les étrangers.