les traces de la barbarie, du moins les monuments du génie, les modèles du goût peu consultés, peu suivis, lurent conservés dans les mains de l’ignorance, comme des dépôts, pour être ouverts dans des temps plus heureux. L’intelligence des langues anciennes fut perpétuée par la nécessité du service divin. Cette connaissance demeura longtemps sans produire des effets sensibles ; mais elle subsista, comme les arbres dépouillés de leurs feuilles par l’hiver, subsistent au milieu des frimas pour donner encore des fleurs dans un nouveau printemps.
Enfin, la religion chrétienne, en inspirant aux hommes un zèle tendre pour les progrès de la vérité, ne l’a-t-elle pas en quelque sorte rendue féconde ? En établissant un corps de pasteurs pour l’instruction des peuples, n’a-t-elle pas rendu par là l’étude nécessaire à un grand nombre de personnes, et dès lors tendu les mains à une foule de génies répandus sur la masse des hommes ? Plus d’hommes ne se sont-ils pas appliqués aux lettres, et par conséquent plus de grands hommes ? Mais dans l’abondance des preuves que mon sujet me présente, puis-je les développer toutes ? Je me hâte de passer à des bienfaits plus importants et plus dignes de la religion, au progrès de la vertu.
Ici je succombe encore plus et je cède à l’immensité de la matière. Je passe avec rapidité sur l’amour de Dieu, dont la religion chrétienne seule a fait l’essence du culte divin, borné dans les autres religions à demander des biens et à détourner des maux ; sur la sévérité de notre loi qui, embrassant les pensées et les sentiments les plus secrets, a appris aux hommes à remonter à la source de leurs passions, et à les captiver avant qu’elles aient pu faire leurs ravages. Mais combien je tourne les yeux vers les choses précieuses que je laisse ! Combien je regrette tant d’objets d’admiration qu’offre l’histoire des premiers chrétiens ! leur courage au milieu des supplices, le spectacle de leurs mœurs si pures, et le contraste de leur sainteté avec les abominations étalées et consacrées dans les fêtes du paganisme. Forcé de me borner, je m’arrêterai du moins à ces vertus purement humaines dont les ennemis de la religion se glorifient d’être les apôtres, à ces sentiments de la nature qu’on ose lui reprocher d’avoir affaiblis.
Quoi donc ! elle aurait affaibli les sentiments de la nature, cette religion dont le premier pas a été de renverser les barrières qui séparaient les Juifs des Gentils ? cette religion qui, en apprenant aux hommes qu’ils sont tous frères, enfants d’un même Dieu, ne formant qu’une famille immense sous un père commun, a renfermé dans cette idée sublime l’amour de Dieu et l’amour des hommes, et dans ces deux amours tous les devoirs ?
Elle aurait affaibli les sentiments de la nature, cette religion dont un des premiers apôtres (celui-là même que Jésus aimait), accablé d’années, se faisait encore porter dans les assemblées des fidèles, et là n’ouvrait une bouche mourante que pour leur dire : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres ! » Elle aurait affaibli les sentiments de la nature, cette religion dont la charité, les soins attentifs à soulager tous les malheureux, ont fait le caractère constant auquel on a toujours reconnu ses disciples ? « Quoi ! » dit un empereur fameux par son apostasie, en écrivant aux prêtres des idoles : « les Galiléens, outre leurs pauvres, nourrissent encore les nôtres ; ces nouveaux venus nous enlèvent notre vertu ; ils couvrent d’opprobre notre négligence et notre inhumanité ! » Ce prince, vraiment singulier par un mélange bizarre de raison et de folie, Platon, Alexandre et Diogène à la fois, devenu