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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/655

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trouvé dans un labyrinthe où il était entré les yeux bandés. Il ne peut plus retrouver la trace de ses pas ; cependant ses yeux s’ouvrent, il voit de tous côtés des routes dont il ignore la liaison. Il s’attache à quelques vérités dont il ne peut douter ; mais d’où lui vient cette certitude ? Il ne connaît rien que par ses idées, il faut donc qu’il croie que ses idées portent la certitude avec elles ; car d’où la tirerait-il avant d’avoir analysé la manière dont ces idées se forment dans son esprit ? Ouvrage immense, et qui demande plusieurs générations !

Sans savoir trop ce que c’est qu’avoir idée d’une chose, il pose pour principe que tout ce que ses idées lui rapportent d’un objet est vrai : principe séducteur, parce qu’effectivement il est un art de tirer de notions une fois déterminées, même arbitrairement, des conséquences qui ne peuvent tromper. Le succès, en ce cas, devint une autre source d’erreur. On eut plus de confiance pour le principe, et ses abus n’en dégoûtèrent point. Par la même raison que chacun était persuadé qu’il avait la véritable idée de l’objet, on n’était point tenté de récuser un tribunal, auquel personne n’avait recours sans croire l’entendre prononcer en sa faveur. De là l’obscurité de la logique et de la métaphysique dans tous les temps ; de là les définitions et les divisions arbitraires.

Ces ténèbres n’ont pu se dissiper que peu à peu ; l’aurore de la raison n’a pu s’élever que par des degrés insensibles, à mesure que les hommes ont analysé de plus en plus leurs idées : non pas qu’ils aient connu d’abord la nécessité d’en distinguer toutes les parties ; mais les disputes mêmes y conduisent, parce que la vérité semble fuir et se dérober à nos recherches jusqu’à ce qu’on soit parvenu aux premiers éléments des idées ; parce qu’en avançant peu à peu on sentit toujours un vide ; et enfin parce que la curiosité fait toujours agir jusqu’à ce qu’elle ait épuisé l’objet de ses recherches, et qu’aucune question ne peut être épuisée que par le vrai.

Les progrès furent plus ou moins rapides, selon les circonstances et les talents.

Lu arrangement heureux des fibres du cerveau, plus ou moins de force ou de délicatesse dans les organes des sens et de la mémoire, un certain degré de vitesse dans le sang, voilà probablement les uniques différences que la nature seule mette entre les hommes. — Leurs âmes, ou la puissance et le caractère de leurs âmes, ont une inégalité réelle dont les causes nous seront toujours inconnues, et ne pourront jamais être l’objet de nos raisonnements. — Tout le reste est l’effet de l’éducation ; et cette éducation est le résultat de toutes les sensations que nous avons éprouvées, de toutes les idées que nous avons pu acquérir dès le berceau. Tous les objets qui nous environnent y contribuent ; les instructions de nos parents et de nos maîtres n’en font que la moindre partie.

Les dispositions primitives agissent également chez les peuples barbares et chez les peuples policés ; ils sont vraisemblablement les mêmes dans tous les lieux et dans tous les temps. Le génie est répandu sur le genre humais à peu près comme l’or dans une mine. Plus vous prenez de minerai, plus vous recueillez de métal. Plus il y aura d’hommes et plus vous aurez de grands hommes ou d’hommes propres à devenir grands. Les hasards de l’éducation et ceux des événements les développent ou les laissent enfouis dans l’obscurité, ou les immolent avant l’âge comme les fruits abattus par le vent. On est forcé d’avouer que si Corneille, élevé dans un village, eût mené la