port de Tacite et de Diodore de Sicile, et qu’il est encore celui des Iroquois au milieu des glaces au Canada. Il est celui de tous les peuples dont la langue est très-bornée, et qui, manquant de mots propres, multiplient les comparaisons, les métaphores, les allusions pour se faire entendre, et y parviennent quelquefois avec force, toujours avec peu, d’exactitude et de clarté.
Les causes physiques n’agissant que sur les principes cachés qui contribuent à former notre esprit et notre caractère, et non sur les résultats que seuls nous voyons, nous n’avons droit d’évaluer leur influence qu’après avoir épuisé celle des causes morales, et nous être assurés que les faits sont absolument inexplicables par celles-ci, dont nous sentons le principe, dont nous pouvons suivre la marche au fond de notre cœur.
Les idées des premiers hommes furent limitées aux objets sensibles, et par conséquent leurs langages furent bornés à les désigner. La foule d’idées abstraites et générales, inconnues encore à un grand nombre de peuples, a été l’ouvrage du temps, et par conséquent ce n’est qu’à la longue qu’on est parvenu à connaître l’art du raisonnement.
L’ordre des objets qu’on aies premiers désignés dans les langues, a été le même partout, ainsi que les premières métaphores et les premières idées abstraites qui règlent les conjugaisons, les déclinaisons, l’analogie des langues les plus barbares (nous n’en connaissons aucune dans son état primitif) ; car, quelque fixation que la barbarie mette dans les progrès d’une masse d’hommes, ce n’est qu’en la privant des occasions de se perfectionner. Le génie ne manque jamais avec le temps. Ainsi, dans l’usage perpétuel des langues, il est impossible que la variété des combinaisons d’idées qui s’offrent à exprimer, n’annonce pas le besoin de nouveaux signes, pour marquer de nouvelles liaisons ou de nouvelles nuances entre les idées. Et ce besoin qui est le sentiment de notre indigence, en nous la manifestant, nous apprend à y remédier, et devient la source de nos richesses.
Les langues des peuples les plus barbares sont donc aujourd’hui bien loin de leurs premiers essais ; il en est de même de tous les progrès qui sont toujours réels, mais quelquefois bien lents ; il y a peu d’arts et de sciences dont l’origine ne puisse remonter jusqu’à ces premières époques ; tous les arts sont appuyés sur des idées grossières, sur des expériences communes et à la portée de tous les hommes.
On voit le progrès immense que les sciences ont fait, et on a perdu l’enchaînement, insensible par lequel elles tiennent aux premières idées. On a d’abord observé les astres avec les yeux, l’horizon a été le premier instrument, et les trois cent soixante jours de l’année lunisolaire sont le modèle de la division du cercle en trois cent soixante degrés. Les étoiles, depuis la première jusqu’à la quatrième grandeur, sont visibles à tous les hommes. L’alternative des jours et des nuits, les changements des phases de la lune, furent des mesures naturelles du temps ; l’alternative du chaud et du froid, et les besoins du labourage, firent comparer le cours du soleil et celui de la lune. De là l’année, les mois, les noms des principales constellations.
La navigation ensuite obligea de perfectionner l’astronomie, et apprit à la comparer à la géographie.
La musique, la danse, la poésie sont encore leur source dans la nature de l’homme. Destiné à vivre en société, sa joie a des signes extérieurs, il fait des sauts et des cris ; une joie commune s’exprima par des branles, des sauts, des cris simultanés et confus. Peu à peu on s’accoutuma à sauter d’une ma-