Le barbouilleur du coin suffit à ceux qui n’ont qu’un luxe grossier. De plus, la peinture est un art mercenaire qui demande du génie, et les formes des gouvernements de l’Europe, avilissant tout ce qui n’était pas gentilhomme, le réduisaient à un pur mécanisme. Pour la Grèce, elle était trop ruinée, trop ravagée et par l’instabilité de son trône, et par les incursions des Sarrasins et des Bulgares, pour cultiver les arts agréables avec succès. Elle contribua pourtant à réveiller Rome au quatorzième siècle par l’enthousiasme qu’elle inspira pour l’antiquité.
Il est des parties dans les arts de goût qui ont pu se perfectionner avec le temps, témoin la perspective, qui dépend de l’optique. Mais la couleur locale, l’imitation de la nature, l’expression même des passions, sont de tous les temps. Ainsi ceux des grands hommes qui dans tous les temps ont poussé l’art à un certain point, acquirent, par rapport aux siècles postérieurs, une certaine égalité, et par là ils sont plus heureux en quelque manière que les philosophes, qui deviennent nécessairement surannés et inutiles par les progrès de leurs successeurs.
Les grands hommes dans l’éloquence et dans la poésie ont la même immortalité, et d’une manière encore plus durable, parce que leurs ouvrages se perpétuent et se multiplient par le moyen des copies. Leurs progrès dépendent des langues, des circonstances, des mœurs et du hasard, qui développent dans une nation plusieurs grands génies.
Nous devons remarquer une chose sur l’éloquence, c’est que, quand nous parlons de ses progrès et de sa décadence, nous ne songeons qu’à l’éloquence étudiée, aux discours d’apparat ; car dans tous les temps, chez tous les peuples, les passions et les affaires ont produit des hommes vraiment éloquents.
Les histoires sont remplies de traits d’une éloquence forte et persuasive dans le sein de la barbarie. Le cardinal de Retz était plus éloquent au parlement qu’en chaire. Et voyez Segeste, Arminius, Vibulinus, dans Tacite.
Je suis peu étonné de la chute de l’éloquence en Grèce et à Rome, Après la division de l’empire d’Alexandre, les royaumes qui s’établirent sur ses ruines éclipsèrent toutes ces petites républiques où l’éloquence avait brillé avec tant d’éclat. Alexandrie, Antioche, devinrent le centre du commerce et des arts. Athènes ne fut plus qu’une ville sans autorité dans la Grèce, où l’on envoyait encore étudier les jeunes gens, mais où les talents ne conduisaient pas à une grande fortune. Les ambitieux étaient à la cour des rois, où il faut de l’intrigue et non de l’éloquence. Les mouvements de la place d’Athènes ne donnaient plus le branle à toute la Grèce.
Qu’on lise les harangues de Démosthènes, et l’on verra qu’il n’y en a presque aucune qu’il eût pu prononcer dans cette Athènes avilie et dégénérée. — D’habiles professeurs, quelques talents, quelque goût qu’on leur suppose, ne pouvaient donc y conserver la véritable éloquence.
Ils faisaient faire aux jeunes gens, comme nous faisons encore dans nos collèges, des amplifications sur toutes sortes de sujets. — Rien n’est plus propre à fausser l’esprit et même à détruire la vérité du caractère ; un cœur honnête ne s’échauffe pas à froid. L’éloquence est un art sérieux, et qui ne joue point un personnage. Jamais un homme de génie, pour faire parade d’éloquence, ne perdit son temps à invectiver Tarquin ou Sylla, ou à s’efforcer d’engager Alexandre à vivre en repos. Aussi voyons-nous qu’après la chute des républiques il y eut des déclamateurs, et plus d’orateurs. — À Rome, où les mêmes causes avaient produit les mêmes effets, quelques empereurs,