ceur qu’on me devait et qu’on a eus pour moi, lorsque j’étais comme vous aveugle et insensé[1]. »
Tel a toujours été le langage des Pères ; j’ai abrégé leurs témoignages pour n’être pas obligé de répéter les mémos raisons. Leurs ouvrages ont presque tous été écrits quand les païens persécutaient les chrétiens. Quelque différence sensible qu’il pût y avoir entre les traits de mensonge qui accompagnaient le paganisme, et les caractères de vérité que portait avec soi la religion chrétienne, les Pères, pour éloigner les persécutions, ne disaient point aux empereurs païens : « C’est à tort que vous persécutez une religion qui nous a été donnée par le Tout-Puissant ; l’autorité ne doit être employée que pour la vérité, et nous seuls vous l’annonçons. » Ce n’étaient pas là les armes dont ils se servaient pour arrêter le glaive des persécuteurs ; c’était contre la persécution elle-même, contre l’autorité civile qui se mêlait de commander aux esprits, contre la nécessité qu’on voulait leur imposer d’adorer ce qu’ils ne croyaient pas ; c’était contre la contrainte, en un mot, qu’ils dirigeaient toutes leurs attaques ; ils la regardaient comme le caractère distinctif de toutes les fausses religions[2].
L’Histoire ecclésiastique nous fournit un bel exemple de cette manière de penser, dans un des saints les plus célèbres qu’ait eus l’Église d’Occident. Saint Martin ne voulut pas communiquer avec quelques évêques d’Espagne, qui n’avaient d’autre tort que d’avoir demandé à l’empereur Maxime la mort des priscillianistes ; et lorsqu’à la sollicitation de ce prince, et pour sauver la vie à ces mêmes hérétiques, il se fut laissé ébranler dans cette résolution, son historien nous apprend que cette complaisance fut pour lui le sujet du repentir le plus amer ; « tant il paraissait horrible, dit M. l’abbé de Fleury (Discours sur l’histoire ecclésiastique), que des évêques eussent trempé dans la mort de ces hérétiques, quoique leur secte fût une branche de l’hérésie détestable des manichéens. »
Je sais que dans la suite quelques ministres de l’Église, excités par un zèle indiscret, ont armé le bras des princes contre les hérétiques ; mais si leur conduite en cela fait honneur à leur foi, elle n’en fait pas assurément à leur charité. Quand même, par des raisons humaines dont la religion rougit, quelques évêques, dans les siècles postérieurs, auraient intéressé les princes dans la cause de la religion, que peut faire leur autorité contre celle des premiers Pères de l’Église, qui vivaient dans des temps moins éloignés de Jésus-Christ et dans les siècles de persécutions, c’est-à-dire dans un temps où la doctrine était le plus pure, et où les passions ne pouvaient pas influer sur leur langage ? Le concile de Tolède défend qu’on fasse violence à personne pour l’obliger à croire[3]. Ximénès enfreint les décrets du concile pour étendre l’inquisition. Ximénès suit un zèle aveugle ; mais les décrets du concile n’en sont pas moins respectables.
Voilà donc, monsieur, la tolérance civile vengée des insultes de ceux qui
- ↑ Contra Manich.
- ↑ On se sert encore des mêmes armes dans tous les traités faits pour combattre la religion païenne, et plus particulièrement le mahométisme. On y prouve qu’une religion dont les apôtres ont exercé leur mission l’épée à la main, ne peut être que fourberie et imposture ; mais si le sang que Mahomet a répandu prouve si victorieusement contre lui, n’est-ce pas déshonorer la religion chrétienne que de prétendre la soutenir par les mêmes moyens ? (Note de l’auteur.)
- ↑ « Præcepit synodus nemini deinceps ad credendum vim inferre. »